les deux jeunes filles lettrées - Chine ancienne

Les deux jeunes filles lettrées
Cette tache a-t-elle jamais rejailli sur les lotus qui fleurissent
dans l’étang de l’encre 516 ?
Après avoir achevé de lire ces vers, Yên-pé-hân dit en soupirant :
« Puisque le ciel et la terre ont prodigué aux belles femmes toute la
pure essence des montagnes et des rivières 517 , à quoi bon avoir mis les
hommes au monde ? Parce que j’avais dit, il y a quelques jours, dans
les vers que j’ai écrits sur les murs d’un couvent, qu’une femme avait
tort de salir, avec le fard et la céruse, le réservoir de l’encre 518 ,
aujourd’hui, en écrivant ces vers, elle a fini par se révéler tout entière.
Je trouve que la finesse de son style égale sa merveilleuse sagacité 519 .
En vérité, elle vous ferait mourir d’amour ! » Ensuite, continuant ses
réflexions : « Puisque mademoiselle Chân est malade, et qu’elle ne
peut me recevoir à la légère, il n’y a pas de raison pour qu’elle reçoive
M. P’ing. Se trouvera-t-il un autre secrétaire comme la jolie personne
de tout à l’heure p.512 pour composer avec lui ? S’il rencontre un
secrétaire dépourvu de talent, il aura bien du bonheur ! »
Yên-pé-hân restait toujours assis dans le pavillon, en proie au délire
de son esprit, lorsque les deux domestiques qui l’avaient amené vinrent
le trouver.
— Monsieur, lui dirent-ils, vous n’avez plus besoin de demeurer
ici : veuillez vous retirer ; nous craignons que Son Excellence ne
soit encore à vous attendre dans le salon.
En entendant dire que Son Excellence était encore à l’attendre dans
le salon, Yên-pé-hân fut comme frappé de stupeur. « Quand je vins ici,
dit-il, que j’étais fier et glorieux ! Je me flattais même de terrasser
mademoiselle Chân, et voilà qu’aujourd’hui je n’ai pu mettre à bout une
servante qui lui sert de secrétaire. Comment oserai-je maintenant
soutenir les regards du public ? » Il demeurait toujours à la même
place, absorbé dans ses réflexions, mais pressé vigoureusement par les
domestiques, il se vit obligé de les suivre et de se retirer.
Il avait le regard fier, les sourcils hautains et le visage épanoui.
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