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MARC CHARRON–LE PRESTIGE DES PROLOGUES DANS LES TRADUCTIONS DU LAZARILLO DE TORMES
l’interprétation “épistolaire” du prologue au Lazarillo 7. Pourtant, Ferrer-Chivite rappelle, à
l’aide d’exemples tirés des “epístolas” contemporaines du Lazarillo d’auteurs tels Guevara et
de Segura, la présence habituelle du pronom personnel “me” dans la formule “Y pues
Vuestra Merced escríbeme le escriba”, pronom personnel ne figurant aucunement dans la
formule adaptée (parodiée? subvertie?) du prologue au Lazarillo. Si Ferrer-Chivite n’est pas
le seul à avoir relevé l’omission du “me” (Gómez-Moriana l’avait fait avant lui), il est
assurément le premier à tenter d’expliquer l’usage tout à fait inhabituel ici de la troisième
personne “se” (l’original se lit bel et bien “Y pues Vuestra Merced escribe se le escriba”)
dans un discours que la critique a de tout temps interprété comme ne pouvant être que
celui d’une première personne “yo”. Ce qui suggère au moins la possibilité, comme le
souligne Ferrer-Chivite, que Lázaro ne soit pas celui qui a rédigé ce que Vuestra Merced est
invitée à lire, ni même qu’il soit l’auteur du prologue 8. C’est pourquoi, ne pouvant
cependant exclure qu’il le soit, on préférera parler ici de l’indétermination ou, en ce qui
nous concerne plus particulièrement, du degré élevé de traductibilité du prologue au
Lazarillo.
L’indétermination concernant l’identité du prologuiste (par exemple, se confond-il
avec le narrateur-protagoniste Lázaro de la première à la dernière phrase?) ainsi que la
problématique touchant l’identité du ou des destinataires du prologue ne pourraient-elles
pas en fait être considérées comme des manifestations d’une problématique plus large?
C’est Hans Ulrich Gumbrecht qui soutient que les textes narratifs du Siècle d’or, et plus
particulièrement les récits picaresques, illustrent l’obsession de leurs auteurs au sujet de ce
qu’il appelle “the tension between a Subject-centered worldview and the superimposition
of a Christian cosmology that eliminated the spaces of subjective choice, action, and
interpretation” (Gumbrecht 1995: 305). Vue sous cet angle, l’une des particularités des
textes narratifs du Siècle d’or espagnol se trouverait même à compter parmi les qualités
distinctives de la semiosis du Lazarillo:
The structurally necessary distinction between the level of the first-person
narrator and that of the first-person protagonist […] seems to be strengthened – and,
semiotically speaking, overdetermined – by the fact that, while the protagonist exploits the
spaces of Subjective action and Subjective world-interpretation, the narrator clearly adapts
his discourse to the religious cosmology that was newly institutionalized in the Spanish
Empire around the middle of the sixteenth century (Gumbrecht 1995: 314).
Au-delà de confirmer que le prologue du Lazarillo opère cette distinction entre ce
que Gumbrecht appelle ici le “je-narrateur” et le “je-protagoniste”, l’hypothèse du
chercheur allemand permet en tout premier lieu d’avancer les raisons qui motivent la
tension narrative à l’intérieur même du prologue. Ne s’agissant ni entièrement d’un avantpropos
du narrateur-protagoniste écrit à l’intention de Vuestra Merced sous forme de
lettre-préface (comme semble le proposer Cros), ni vraiment d’un avis au lecteur stricto sensu
qu’il faudrait alors associer au topique de l’exorde, ni même exclusivement du pré-texte
d’un écrit sur un ordre inquisitorial (comme le défend Gómez-Moriana), le prologue au
7 Nous faisons précisément référence ici à Manuel Ferrer-Chivite, “El de Lázaro de Tormes: ¿caso o casos?”, dans
Actas del X Congreso de la Asociación Internacional de Hispanistas, Barcelone, s.n., 1992, pp. 425-431.
8 Relativement à cette problématique précise, José Manuel López de Abiada est encore plus catégorique, en ce
qu’il exclut carrément que Lázaro puisse être l’auteur du prologue. Il écrit: ‘En mi opinión, hay que considerar, además de
los argumentos aportados por [Gonzalo] Sobejano, [Victor] García de la Concha y Ferrer-Chivite, otros elementos,
algunos manifiestos, otros velados. En el pasaje que nos atañe […], percibimos con nitidez que el sintagma “escribe se le
escriba” no se refiere directamente al personaje Lázaro (si así fuere, no tendríamos el impersonal se) […] [E]l sintagma
indicado da pie de otra interpretación: la versión escrita de la historia de Lázaro no se debe a su pluma, sino a la de otra
persona, por lo que nuestra supuesta autobiografía sería una – también figurada, claro – autobiografía per interposita persona
o con persona interpolada […], provocadora y perturbadoramente nueva, pues suponía nada menos que una nueva forma
de narrar […]’, José Manuel López de Abiada, “Alusiones, retinencias y silencios locuaces en el Lazarillo: Reflexiones
sobre algunos aspectos o pasajes velados y apostillas al léxico erótico del Tratado IV”, Iberomania, 31, 1990, p. 71-72.
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