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SKIBI ŃSKA ELŹBIETA–IMAGE TRADUITE: LA POLOGNE POPULAIRE DANS LA TRADUCTION FRANÇAISE
La deuxième difficulté est le langage: les oeuvres d’auteurs polonais, soucieux de
l’effet réaliste, essaient de rendre la façon de parler des Polonais de l’époque qui nous
intéresse. Or, cette époque est celle de la formation de parlers particuliers tels que le
novlangue (le langage du pouvoir communiste) et les réactions à celle-ci, par exemple le
parler de la file d’attente. Des parlers équivalents n’existant pas en français, les
traducteurs se trouvent démunis d’outils adaptés et ils essaient d’y rémédier, par exemple
en calquant les expressions polonaises, pour montrer comment parlent les personnages
des oeuvres traduites (Kaufman 2000, Skibiñska 2000a).
Si les problèmes liés aux réalités propres à la Pologne Populaire peuvent être
considérés comme communs à la plupart des traductions des oeuvres fortement
enracinées dans la CS, les caractères spécifiques de la littérature polonaise – la
manipulation et le codage, auxquels s’ajoute une riche intertextualité permettant de mener
un dialogue littéraire avec les auteurs aussi bien contemporains que ceux du passé, mais
aussi avec des idées émises hors du circuit littéraire (tradition) – constituent un enjeu bien
plus rare. On peut citer comme exemple de l’inscription d’un code dans une oeuvre le
roman Sennik wspó³czesny de Tadeusz Konwicki, où la localisation spatiale des événements
se fait entre autres par l’utilisation d’éléments lexicaux empruntés au dialecte de la région
de Wilno, qui autrefois appartenait à la Pologne, mais qui en a été coupée à la suite des
traités politiques de 1940. La censure n’aurait pas permis un renvoi direct à cette ville et à
sa région, mais le procédé utilisé par l’auteur permettait au lecteur de percevoir ses
intentions et d’avoir une lecture “complète” du roman. Cependant, dans la traduction, il
était impossible de rendre l’effet obtenu par l’emploi des mots connotant Wilno; la
traductrice a donc eu recours à des explications relativement abondantes dans des notes
de bas de page qui, ne serait-ce que partiellement, compensent les déficiences des
connaissances du lecteur francophone. 9
L’importance de la personnalité du traducteur et le pouvoir qu’il a sur l’image de
l’oeuvre traduite – et de la culture à laquelle celle-ci appartient – n’est plus à dire. L’image
de la culture polonaise projetée sur l’écran français dépend tant des compétences de celuici
que de son libre arbitre.
Le poids de ce dernier peut être démontré par l’exemple d’Anna Posner. Les
ouvrages traduits par elle ont contribué à la connaissance de la littérature polonaise en
France et l’ont indéniablement marquée d’une façon très spéciale. Si la manière dont elle
a traduit des textes majeurs peut susciter aujourd’hui des réserves, sa démarche devient
plus claire lorsqu’elle est située dans le contexte historique qui l’a suscitée; les choix que
la traductrice a opérés peuvent trouver une explication dans son vécu, mais aussi dans ses
choix philosophiques, éthiques, politiques. L’adhésion pleine et entière de Posner au
marxisme (motivée par les aléas de sa vie) trouve un reflet dans ses traductions: “L’image
de la Pologne que la traductrice désirait offrir à la France était celle d’un pays en rupture
avec le passé et tourné vers l’avenir grâce à son nouveau système politique. Elle ne
voulait voir dans l’instauration du communisme réel qu’une réussite” – constate Maryla
Laurent (Laurent 2000). Posner procède donc à une épuration de tout ce qui pourrait
nuire à cette image, en mutilant les oeuvres d’une bonne part de leur teneur et en faussant
ainsi le message transmis au lecteur français.
La démarche de Posner s’explique par des motivations politiques. Mais on observe
dans les traductions des choix qui font douter de la compétence du traducteur et
entraînent la question: qui traduit du polonais?
9 Voir à ce propos Skibiñska 2000a.
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