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MARC CHARRON–LE PRESTIGE DES PROLOGUES DANS LES TRADUCTIONS DU LAZARILLO DE TORMES
paradoxalement en sorte de tous les “mettre dans le même panier”, tout en invitant ceux
qui notent cet “écart narratif” (c’est-à-dire “the discrepancy between author and narrator”
selon Shipley) de ne pas se satisfaire de ce que ce dernier appelle “an inferior, one-sided
alternative”. Parmi ces lecteurs se trouvent potentiellement nos cinq traducteurs:
Lazarillo de Tormes: […] pues podría ser que alguno que las lea, halle algo que le
agrade. Y a los que no ahondaren tanto, los deleite (p. 1).
Saugrain: […] car (possible est) quelqu’un les lira, lequel y pourra trouver goût. Et
celui qui sera moins aigu d’entendement, pour le moins y prendra plaisir (f. 3v).
Bonfons: […] considéré qu’il pourra être qu’aucun de ceux qui les liront y
trouvera quelque chose qui lui sera agréable et que d’ailleurs ceux qui n’y regarderont de si
près, pour le moins y prendront plaisir (p. 5).
Viardot: […] car il peut se faire que tel qui les lira y rencontre quelque chose
d’utile, et que ceux qui ne pénètrent pas si avant trouvent du moins à s’en amuser (p. 422).
Morel-Fatio: […] car il se pourrait faire qu’un qui les lira y trouve quelque chose à
son goût, et que d’autres, sans les approfondir autant, s’en amusent (p. 1).
Molho: […] car il se pourrait que quelqu’un les lise et y trouve goût, et que ceux
mêmes qui n’approfondiront point tant y prennent plaisir (p. 3) 13.
Tous ici, à l’exception de Viardot, ont opté pour la reproduction intégrale de la
formule délexicalisée. En activant, quant à elle, la réinscription en surface du “topique des
niveaux d’utilité de lecture”, l’interprétation de Viardot vient corriger ce qu’elle juge sans
doute être une maladresse. Ce faisant, elle rejette l’assimilation proposée de tous les
lecteurs; qui plus est, elle nous permet de saisir, en regard des autres versions qui existent, la
problématique de l’ “illusion littéraire” que parvient à maintenir en place un topique sur
fond de calque parodiant. La nuance a beau être ténue; il n’en demeure pas moins que le
pré-texte (au sens de “texte qui vient avant”) de la traduction du prologue diffère selon
qu’on choisit de présenter le prétexte (au sens de “leitmotiv”) du narrateur-protagoniste ou
celui du prologuiste.
Mais là ne s’arrête pas la subversion ou délexicalisation du topique de l’exorde dans
le texte du prologue. À vrai dire, c’est peut-être à la toute fin qu’elle se montre la plus
manifeste, dans le passage qui établit une correspondance entre le “pouvoir” et le “désir”
(et surtout pas leur non-concordance comme la critique “officielle” l’aborde souvent) de
celui (le narrateur-protagoniste ou le prologuiste?) qui supplie littéralement Vuestra Merced
de recevoir ce pauvre présent ou don, ou encore cette pauvre offrande, de sa main.
Lazarillo de Tormes: Suplico a V.M. reciba el pobre servicio de mano de quien lo
hiciera si su poder y deseo se conformaran (p. 2).
Saugrain: Donques Monsieur, je vous supplie recevoir ce petit don, de celui, lequel
si son pouvoir fut égal à son désir, vous l’eût beaucoup plus riche présenté (p. 4).
Bonfons: Je vous supplie Monsieur de recevoir ce petit présent de la main de celui
qui volontiers l’eût rendu de plus de mérite, si son pouvoir et son désir eussent été égaux (p. 9).
13 Il n’est pas inopportun d’ajouter ici que la version du premier traducteur anglais du Lazarillo, David Rowland se
lit: “[…] for it is possible that those, which shall read this treatise of my life, may find some pleasure therein” (p. 5). Ce
qui étonne dans la version de Rowland, c’est justement qu’elle s’écarte pour l’une des très rares fois du texte de Saugrain
(créant un (nouvel) espace interliminal), comme l’ont montré tant les travaux de Julio-César Santoyo que l’introduction de
J.E.V. Crofts, responsable de la réédition en 1924 de la traduction de Rowland.
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