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MARIA EDUARDA KEATING–LES VOYAGES DES LETTRES PORTUGAISES
QUAND LA TRADUCTION (SE) FAIT HISTOIRE – LES VOYAGES
DES LETTRES PORTUGAISES
1. UNE ŒUVRE EUROPÉENNE
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MARIA EDUARDA KEATING
Universidade do Minho
La première édition des Lettres portugaises traduites en français est parue à Paris en 1669
sous les soins de l’éditeur Claude Barbin “Avec privilège du Roi” (comme on peut lire sur
la page de couverture). La même année ce texte a été édité à Cologne sous le titre Lettres
d’amour d’une religieuse écrites au Chevalier de C., Officier François en Portugal, chez l’éditeur Pierre
de Marteau. Ces lettres, qui sont devenues célèbres sous le nom de Lettres Portugaises, ont
constitué dès leur publication un phénomène de popularité et d’enthousiasme et ont
déclenché un mouvement de discussions et de réécritures qui ont dépassé la ville de Paris et
le siècle de Louis XIV et se sont développées jusqu’à nos jours.
Ce succès est dû à plusieurs facteurs intérieurs et extérieurs au texte, à des
spécificités, des modes, des politiques, etc. – tout cela a été largement étudié par l’Histoire
de la Littérature. Le succès et la postérité des Lettres Portugaises me semblent par ailleurs très
étroitement liés au caractère exhibé de “texte en seconde main” – puisqu’elles sont
présentées dès le départ comme une traduction, et qui plus est, doublement anonyme (sans
nom d’auteur ni de traducteur). En ce sens, ce texte me semble illustrer de manière assez
intéressante la thèse d’Henri Meschonnic (1999) envisageant la traduction comme base de
l’identité culturelle de l’Europe :
L’Europe est née de la traduction et dans la traduction. L’Europe ne s’est fondée
que sur des traductions. Et elle ne s’est constituée que de l’effacement de cette origine toute
de traduction. [...] Seule l’Europe est un continent de traduction, au sens où les grands
textes fondateurs sont des traductions, et ne sont tels qu’en traduction, et les grandes
traductions sont d’abord celles des textes sacrés. Le Nouveau Testament – la Nouvelle
Alliance – en grec, est déjà une traduction. Dont le substrat, longtemps censé être
l’araméen, lui-même effaçait l’hébreu… (Meschonnic 1999: 32-33).
Cet effacement des origines qui, selon Meschonnic, définit la culture européenne, se
réalise avec des conséquences intéressantes dans l’histoire de la réception des Lettres
Portugaises en Europe – une réception ayant tout de suite dépassé les frontières nationales,
une réception marquée par des discussions et des recherches acharnées concernant l’origine
de ces lettres et par un mouvement de lectures, de traductions et d’appropriations de toutes
sortes qui ont duré jusqu’à l’actualité. Tout ce mouvement à partir des Lettres Portugaises a
influencé de manière déterminante la littérature des deux pays directement concernés par la
publication – la France et le Portugal – faisant de ce texte un exemple emblématique de ce
que l’on peut considérer “la littérature européenne”.