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LE RECLASSEMENT PROFESSIONNEL SUITE AUX ... - E-Corpus

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Alors qu’en 1932 les femmes privées d’emploi ne considéraient pas qu’ellesétaient au chômage et se déclaraient «non payées mais pas chômeuses» (P. LAZARSFELD etal.), elles connaissent aujourd’hui la même épreuve que les hommes. Les chômeuses, quiavaient intériorisé le statut de l’activité professionnelle, refusent l’identification au seul rôlede ménagère, dont l’activité est peu qualifiée et conduit à une solitude qu’elles jugentdramatique. Ce n’est pas un hasard si, dans tous les entretiens avec des chômeuses,l’expression «entre mes quatre murs» revient de manière lancinante: elle symbolisel’impression de solitude et d’emprisonnement que ressent la chômeuse qui a vu disparaître leséchanges sociaux entretenus par l’activité professionnelle. Dans bien des cas s’ajoutent, pourles femmes seules, les conditions économiques difficiles ou dramatiques. Seules certainesjeunes femmes mariées peuvent légitimer pour un temps leur non-travail au nom des chargeset des joies de la maternité. L’expérience que font les femmes à l’occasion de leur chômagemontre que la norme du travail et de l’emploi comme source privilégiée du statut socials’impose désormais également aux deux sexes.Les cadres, eux, s’efforcent de lutter contre la déprofessionnalisation et ladésocialisation spécifiques du chômage total. Ils adoptent des activités de substitution enrecherchant, de manière systématique et professionnelle, un nouvel emploi, en «profitant» dela période de chômage pour acquérir une formation complémentaire et augmenter leurschances de se retrouver sur le marché du travail. Cherchant à se différencier des chômeursmodestes, ils consacrent leur énergie et leur compétence à cette recherche dont ils affirmentqu’elle exige plus de temps, de capacités et d’efforts que l’exercice même d’un métier.Ces activités, conseillées et légitimées par la littérature professionnelle, outreleur justification pratique, ont pour effet de permettre aux cadres chômeurs de se maintenir àl’intérieur des normes et des valeurs de l’univers professionnel auquel ils aspirent. Ils restenten activité sur le monde du «comme si» et s’efforcent ainsi de garder leur distance à l’égarddu rôle de chômeur, inoccupé et humilié, de retourner, au moins symboliquement, le sens deleur épreuve. Grâce à cette expérience, qu’on peut qualifier de chômage différé, ils neconnaissent pas le vide et l’ennui propres au chômage total. Mais leur sentiment d’humiliationn’est pas moins grand. Pour la majorité des cadres, la carrière constitue une préoccupationconstante, «faire carrière» reste la forme privilégiée de l’expression de soi. Or le cadre neperçoit pas seulement son emploi en terme de rémunération immédiate, mais dans le cadred’une carrière, comportant des étapes prévues destinées à prendre place à l’intérieur d’unavenir organisé. Avec le chômage, ce n’est pas seulement l’organisation spatiale et temporellequotidienne qui est remise en question, mais tout le système d’aspirations et de projectionsdans l’avenir, lié à l’image d’une trajectoire professionnelle. C’est cette trajectoire, qui estaussi un plan de vie, que le chômage vient interrompre, risquant de conduire, s’il dure, à unevéritable crise d’identité, que traduit le sentiment d’humiliation et de culpabilité. L’altérationde la sociabilité vient aggraver l’épreuve: bien que les cadres ne connaissent pas la mêmedésocialisation que les chômeurs plus modestes, le réseau des relations s’amoindritprogressivement et cela d’autant plus qu’il était plus étroitement issu de l’activitéprofessionnelle. La diminution des ressources financières, le sentiment d’humiliation et demarginalisation contribuent à limiter, parfois à interdire, les formes habituelles de la viesociale. Au fur et à mesure que se prolonge l’épreuve, la crise de statut et d’identité s’accroîtet les avantages que donne aux cadres la possibilité d’adopter les comportements actifs etvolontaires s’affaiblissent. Le chômage différé n’a qu’un temps.195

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