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Péquod

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Sibérie. Son étrave vénérable semblait barbue. Ses mâts – taillés<br />

quelque part sur la côte japonaise là où la tempête emporta ceux<br />

qu’il avait à l’origine – ses mâts avaient la raideur de l’épine<br />

dorsale des trois vieux rois de Cologne. Ses ponts antiques<br />

étaient usés et ridés comme la dalle vénérée des pèlerins où fut<br />

versé le sang de Becket dans la cathédrale de Cantorbéry. À ces<br />

pièces de musée, étaient venues s’ajouter des caractéristiques<br />

nouvelles et étonnantes qui racontaient les aventures sauvages<br />

qui furent les siennes pendant plus d’un demi-siècle. Le vieux<br />

capitaine Peleg, second à son bord pendant plusieurs années<br />

avant de commander son propre navire, qui était maintenant à<br />

la retraite et l’un des principaux propriétaires du <strong>Péquod</strong>, ce<br />

vieux Peleg avait, durant son règne de second, ajouté à son caractère<br />

grotesque primitif et l’avait pénétré de part en part d’une<br />

étrangeté, due à la fois au matériau et à son esprit inventif, qui<br />

n’avait sa pareille nulle part sauf peut-être sur le bouclier ou le<br />

châlit de Thorkill Hake. Il portait parures comme un barbare<br />

empereur d’Éthiopie au cou alourdi de pendentifs d’ivoire poli.<br />

C’était un reliquaire de trophées. Un cannibale de navire, se pavanant<br />

dans les ossements ciselés de ses ennemis. Ses pavois à<br />

découvert, sans jambettes, étaient ornés sur tout leur pourtour,<br />

sans interruption, telle une seule mâchoire, avec les longues<br />

dents aiguës du cachalot tenant lieu de cabillots pour amarrer<br />

ses muscles de chanvre et ses tendons. Ces filins ne couraient<br />

pas dans des poulies de vulgaire bois des forêts mais filaient<br />

prestement dans des réas creusés dans du morfil. Méprisant un<br />

gouvernail à tourniquet, il arborait une barre digne de respect,<br />

taillée d’une seule pièce dans la longue et étroite mâchoire inférieure<br />

de son ennemi héréditaire. L’homme de barre lorsqu’il<br />

gouvernait dans la tempête se sentait, cette barre en main, pareil<br />

au Tartare lorsqu’il retient par le mors son ardente monture.<br />

Un navire d’une vraie noblesse, mais aussi d’une certaine<br />

manière, d’une grande mélancolie ! Toute chose noble en est<br />

empreinte.<br />

– 120 –

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