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Péquod

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main matin, je tremblai à ce souvenir, et durant des jours, des<br />

semaines, des mois après je m’évertuai à trouver quelque explication<br />

plausible à ce mystère. Que dis-je maintenant, encore, je<br />

me surprends à m’en intriguer.<br />

Si l’on fait abstraction de mon épouvante, j’éprouvai le<br />

même sentiment d’étrangeté et de surnaturel qu’alors en<br />

m’éveillant enfermé dans le bras païen de Queequeg. Mais lorsque<br />

les événements de la nuit précédente me revinrent, un à un,<br />

en mémoire, en leur pleine réalité, seul le comique de la situation<br />

m’apparut. Car malgré mes efforts pour dégager son bras et<br />

dénouer sa nuptiale étreinte, et bien qu’il dormît profondément,<br />

son embrassement si étroit me laissa à croire que seule la mort<br />

parviendrait à nous désunir. Je m’efforçai alors de le réveiller :<br />

« Queequeg ! » Seul un ronflement me répondit. Puis j’essayai<br />

de me tourner sur le côté, mais j’étais comme pris dans un harnais<br />

et soudain quelque chose me griffa légèrement. Je rejetai le<br />

couvre-lit : le tomahawk dormait au flanc du sauvage pareil à un<br />

bébé à tête de hache. Quel pétrin ! pensai-je, se trouver au lit, en<br />

plein jour, dans une maison étrangère, avec un cannibale et un<br />

tomahawk ! « Queequeg ! pour l’amour de Dieu ! debout, Queequeg<br />

! » Finalement, à force de contorsions, de remontrances, à<br />

haute voix réitérées, sur l’inconvenance d’une étreinte d’un style<br />

pareillement matrimonial de la part d’un autre mâle, je parvins<br />

à lui soutirer un grognement et il retira bientôt son bras ; il se<br />

secoua comme un terre-neuve au sortir de l’eau, s’assit sur le lit,<br />

raide comme un piquet, me regarda et se frotta les yeux comme<br />

s’il ne se souvenait pas tout à fait de quelle manière j’étais arrivé<br />

là, puis une vague conscience de me connaître quelque peu parut<br />

naître en lui. Cependant que, désormais sans méfiance, je<br />

l’observai paisiblement, appliqué à l’étude d’une aussi curieuse<br />

créature. Lorsque enfin il parut réaliser le caractère de son<br />

compagnon nocturne et s’en accommoder, il sauta à bas du lit<br />

et, avec divers gestes et des bruits variés, me donna à comprendre<br />

que, si cela me convenait, il s’habillerait le premier, puis<br />

m’abandonnerait toute la chambre pour me vêtir à mon tour.<br />

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