25.06.2013 Views

Péquod

Péquod

Péquod

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

être, ses fuites traîtresses inspiraient l’épouvante, car lorsqu’elle<br />

s’éloignait de ses poursuivants triomphants, manifestant tous<br />

les signes de la peur, elle avait, plus d’une fois, fait brutalement<br />

volte-face et, fonçant sur eux, fait voler en éclats leurs pirogues,<br />

ou les avait contraints de regagner, en désarroi, leur navire.<br />

Déjà plusieurs catastrophes marquaient l’histoire de sa<br />

chasse. De semblables désastres, dont il est peu fait état à terre,<br />

ne sont nullement rares dans les annales de la pêcherie mais,<br />

dans la plupart de ces cas, la préméditation criminelle et la férocité<br />

satanique de la Baleine blanche semblent telles que chaque<br />

démembrement ou chaque mort ne sauraient être imputées à<br />

une brute dépourvue de toute intelligence.<br />

Imaginez dès lors dans quels brasiers de fureur démente<br />

étaient jetés ses chasseurs désespérés lorsque, parmi les éclats<br />

de leurs embarcations broyées, parmi les membres de leurs camarades<br />

déchiquetés, ils nageaient pour se dégager du lait caillé<br />

de la funeste colère de la baleine, et se retrouvaient devant le<br />

sourire serein et exaspérant du soleil, aussi immuable que s’il se<br />

fût agi d’une naissance ou d’une noce.<br />

Ses trois pirogues défoncées autour de lui, les avirons et les<br />

hommes pris dans les remous, un capitaine, arrachant à sa<br />

proue brisée le couteau à trancher la ligne, avait bondi vers la<br />

baleine, et dans un corps à corps digne de l’Arkansas sur son<br />

adversaire, cherchait aveuglément à atteindre, avec une lame de<br />

six pouces, sa vie enfouie à une toise de profondeur. Achab fut<br />

ce capitaine. Et c’est alors que, glissant soudain sous lui la faucille<br />

de sa mâchoire, Moby Dick avait moissonné la jambe<br />

d’Achab, comme le faucheur une feuille d’herbe dans les<br />

champs. Aucun Turc enturbanné, aucun mercenaire vénitien ou<br />

malais, n’aurait pu le frapper avec une plus apparente malice.<br />

On ne peut guère douter que ce fut à partir de cette rencontre,<br />

presque fatale, qu’Achab ait nourri envers la baleine une fureur<br />

vengeresse. Sa frénésie maladive s’accrût encore du fait qu’il<br />

– 273 –

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!