25.06.2013 Views

Péquod

Péquod

Péquod

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

cachalots plus que se réjouir de la victoire remportée sur les<br />

Malais. Mais enfin le navire, toujours dans le sillage des baleines,<br />

s’en rapprocha comme elles semblaient ralentir, et le vent<br />

tombant, l’ordre fut donné de mettre les pirogues à la mer. À<br />

peine la troupe eut-elle senti la présence des trois baleinières à<br />

leur poursuite, bien qu’elle fût à un mille encore, avertie par ce<br />

merveilleux instinct que l’on prête au cachalot, elle se regroupa<br />

en rangs serrés, bataillon dont les souffles étaient un faisceau<br />

étincelant de baïonnettes et qui accélérait sa marche.<br />

En pantalons et manches de chemise, nous sautâmes sur<br />

nos avirons de frêne et après plusieurs heures de nage nous hésitions<br />

à poursuivre la chasse lorsque les cachalots firent une<br />

halte, nous avertissant qu’ils étaient enfin pris de cette perplexité<br />

insolite qui leur donne inertie de l’irrésolution et fait dire aux<br />

pêcheurs qu’ils sont pétrifiés d’effroi. Une déroute démesurée<br />

brisa les colonnes martiales jusqu’alors denses et rapides ;<br />

comme les éléphants du roi Porus dans la bataille contre<br />

Alexandre, ils parurent saisis d’une folie atterrée. Ils se jetèrent<br />

dans toutes les directions, décrivant de vastes cercles, nageant<br />

sans but de-ci et de-là, leurs jets courts et épais trahissant ouvertement<br />

un trouble et une panique mis en relief par ceux<br />

d’entre eux qui, complètement paralysés, flottaient, désemparés,<br />

comme les épaves d’un navire naufragé. Ces léviathans eussent-ils<br />

été un simple troupeau de moutons, poursuivis à travers<br />

le pâturage par trois loups féroces, qu’ils n’auraient pas fait<br />

montre d’une plus excessive épouvante, mais cette timidité occasionnelle<br />

caractérise presque tous les êtres grégaires. On a vu<br />

des bisons de l’Ouest à crinière léonine qui, bien qu’en troupeaux<br />

de dizaines de milliers, prenaient la fuite devant un cavalier<br />

solitaire. Témoins aussi les êtres humains attroupés dans le<br />

parc à moutons d’un théâtre et qui, à la moindre alerte<br />

d’incendie, se ruent vers les sorties dans un sauve-qui-peut serré,<br />

se piétinent, s’écrasent et se jettent impitoyablement à terre<br />

les uns les autres jusqu’à ce que mort s’ensuive. Mieux vaut, dès<br />

lors, ne point trop s’étonner de l’étrange affolement des cacha-<br />

– 531 –

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!