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Péquod

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sous mes doigts comme la grappe mûre qui abandonne son vin,<br />

tandis que je respirais ce vierge parfum, en vérité tout pareil à<br />

celui des violettes au printemps, je vous le dis, pendant ce temps<br />

je vécus dans l’odeur fauve d’une prairie. J’avais tout oublié de<br />

notre serment atroce ; dans cet indicible spermaceti j’en lavais<br />

et mes mains et mon cœur. J’en venais presque à croire avec<br />

Paracelse que cette matière avait la précieuse vertu de tempérer<br />

l’ardeur de la colère. Plongé dans ce bain, je me sentais divinement<br />

libéré de toute malveillance, de toute irritabilité, de toute<br />

rancune de quelque nature que ce soit.<br />

Serrer, presser, la matinée durant ! J’étreignais ce spermaceti<br />

jusqu’à m’y fondre, jusqu’à ce qu’enfin une étrange folie<br />

m’envahit et je me surpris à serrer involontairement les mains<br />

de mes camarades, les prenant pour des mottes douces. Ce travail<br />

faisait naître un tel débordement d’affection, de fraternité,<br />

d’amour que pour finir je continuai à étreindre leurs mains, les<br />

regardant tendrement dans les yeux comme pour leur dire :<br />

Oh ! mes bien-aimés semblables, pourquoi nourririons-nous<br />

des rancunes sociales, des humeurs acariâtres, de l’envie ? Allons,<br />

serrons-nous tous les mains, non, faisons davantage, fondons-nous<br />

les uns dans les autres, perdons-nous dans<br />

l’universel et devenons le lait et le spermaceti de la bonté.<br />

Que n’ai-je pu presser à jamais ce spermaceti ! Car je sais à<br />

présent, par tant d’expériences prolongées, renouvelées, que<br />

l’homme doit abaisser ou du moins déplacer l’idée qu’il se faisait<br />

d’un bonheur accessible, qu’il ne doit pas le chercher dans<br />

l’intelligence ou l’imagination, mais dans la compagne, le cœur,<br />

le lit, la table, la selle du cheval, le coin du feu, le pays ; maintenant<br />

que j’ai compris cela, je suis prêt pour une éternelle<br />

étreinte. Dans mes nocturnes visions j’ai vu, au paradis, des anges<br />

défiler longuement, tenant entre leurs mains une jarre de<br />

spermaceti.<br />

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