25.06.2013 Views

Péquod

Péquod

Péquod

SHOW MORE
SHOW LESS

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

contaient leurs aventures impies, des récits de terreur, sur le ton<br />

de l’allégresse, tandis que leurs rires barbares fusaient, fourchus<br />

comme les flammes de leurs fourneaux, tandis que, devant eux<br />

passaient et repassaient les harponneurs gesticulant avec leurs<br />

cuillères pour les pots, tandis que le vent hurlait, que bondissait<br />

la mer, que le navire gémissait et piquait, emportant toujours<br />

son enfer rouge, de plus en plus loin, au cœur noir de la mer et<br />

de la nuit, mâchant avec mépris les os blancs de la baleine, crachant<br />

rageusement de tous côtés, alors le fuyant <strong>Péquod</strong>, frété<br />

de sauvages, chargé de feu, brûlant un cadavre et plongeant<br />

dans les ténèbres, semblait la matérialisation de l’âme délirante<br />

de son capitaine.<br />

C’est ainsi qu’il m’apparaissait tandis que, debout à la<br />

barre, je menais durant de longues heures silencieuses ce vaisseau-incendie<br />

sur la mer. Enveloppé d’ombre, je n’en voyais que<br />

mieux la rougeur, la folie et l’horreur peintes sur le visage des<br />

autres. La vue incessante de démons, faisant des entrechats,<br />

entre la fumée et le feu, engendra en mon âme d’identiques visions<br />

dès que j’eus cédé à l’indicible somnolence qui toujours<br />

m’envahit au gouvernail de minuit.<br />

Mais cette nuit-là, une chose étrange m’advint que je ne<br />

pus jamais m’expliquer. M’éveillant en sursaut d’un bref sommeil<br />

tout debout, je pris une conscience horrible d’une erreur<br />

fatale. La barre en os contre laquelle j’étais appuyé me bourra<br />

les côtes, le bourdonnement sourd des voiles en train de faseyer<br />

siffla à mes oreilles, je crus avoir les yeux ouverts, je crus, à demi<br />

conscient porter mes doigts à mes paupières pour les écarquiller.<br />

Mais malgré cela je ne voyais nul compas pour guider<br />

ma route bien que, me semblait-il, il ne s’était pas écoulé plus<br />

d’une minute depuis que j’avais regardé la rose des vents éclairée<br />

par la lampe fixe de l’habitacle. Il me paraissait qu’il n’y<br />

avait devant moi qu’une obscurité de jais rendue parfois effrayante<br />

par des éclairs rouges. Par-dessus tout j’avais<br />

l’impression que, quelle que fût la chose ailée, rapide, sur la-<br />

– 582 –

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!