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Péquod

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soit à celle des étoiles, disparaissant pendant un jour ou deux,<br />

ou trois, et paraissant chaque fois surgir à une plus grande distance,<br />

ce souffle solitaire semblait vouloir nous entraîner à jamais<br />

plus avant.<br />

Soumis à la superstition de tout temps inhérente à leur<br />

race, sensibilisés par le caractère surnaturel du <strong>Péquod</strong>, certains<br />

matelots juraient qu’où que ce soit, en quelque temps que ce fût,<br />

si immémorial qu’il puisse être, sous quelque latitude, quelque<br />

longitude si lointaine qu’elle puisse être, ce souffle inaccessible<br />

était la respiration d’une seule et même baleine, et qu’elle avait<br />

nom Moby Dick. Pendant un certain temps, cette apparition<br />

fugitive engendra une singulière terreur, comme si elle nous<br />

invitait traîtreusement à la suivre, toujours plus loin, afin que le<br />

monstre pût faire volte-face et nous déchiqueter enfin dans des<br />

mers écartées et sauvages.<br />

Ces appréhensions passagères, si vagues mais si atroces,<br />

gagnaient en puissance par leur contraste avec la sérénité du<br />

temps ; certains découvraient sous son azur caressant un maléfice<br />

satanique tandis que nous voguions, jour après jour, sur des<br />

mers solitaires d’une douceur obsédante, comme si l’espace,<br />

réprouvant notre quête vengeresse, se vidait de toute vie devant<br />

l’urne funéraire de notre proue.<br />

Mais quand enfin nous fîmes route vers l’est, les vents du<br />

Cap commencèrent à hurler autour de nous et ses eaux tourmentées<br />

nous soulevèrent et nous abaissèrent longuement.<br />

Alors, quand le <strong>Péquod</strong> poignarda le vent de ses défenses<br />

d’ivoire et, dans sa folie, éventra les vagues sombres jusqu’à ce<br />

que les flocons d’écume s’envolassent au-dessus des pavois<br />

comme une averse de copeaux d’argent, alors s’évanouit la désolation<br />

vide de la vie mais pour faire place seulement à de plus<br />

lugubres spectacles.<br />

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