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Péquod

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aignent au large, voyez comme ils se serrent contre leur navire<br />

et se bornent à longer ses flancs.<br />

Mais Stubb avait-il vraiment abandonné le pauvre petit nègre<br />

à son sort ? Non. Du moins telle n’était pas son intention.<br />

Car il y avait deux baleinières dans le sillage de la sienne et il<br />

pensa sans doute qu’elles auraient tôt fait de rejoindre Pip et de<br />

le repêcher, bien qu’en pareil cas les pêcheurs ne soient pas toujours<br />

disposés à de tels égards envers celui qui s’est mis en danger<br />

par sa propre pusillanimité quand bien même c’est une<br />

chose fréquente, car un couard est invariablement détesté par la<br />

pêcherie et poursuivi de cette même haine sans pitié que dans<br />

l’armée et dans la marine militaire.<br />

Mais les circonstances voulurent que ces pirogues ne virent<br />

pas Pip. Absorbées par la présence proche de cachalots, elles<br />

virèrent de bord pour leur livrer la chasse. Quant à la baleinière<br />

de Stubb, elle était loin à présent et lui-même comme son équipage<br />

étaient tout à leur poursuite de sorte que l’anneau<br />

d’horizon s’élargit misérablement autour de Pip. Par un pur hasard,<br />

ce fut le navire qui le sauva enfin, mais, depuis ce moment-là,<br />

il déambula sur le pont comme un idiot, du moins c’est<br />

le terme qu’on lui appliquait. La mer moqueuse lui avait laissé<br />

son corps borné et noyé l’infini de son âme. Elle ne l’avait pas<br />

noyée tout à fait cependant, elle l’avait plutôt entraînée vive<br />

dans les profondeurs prodigieuses où les formes étranges du<br />

monde primordial encore intact glissaient ici et là devant son<br />

regard passif. La Sagesse, sirène avaricieuse, lui révélait ses trésors<br />

amassés et parmi les vérités éternelles, joyeuses, cruelles,<br />

jeunes à jamais, Pip voyait dans les innombrables insectes coralliens,<br />

l’omniprésence de Dieu qui, hors du firmament des<br />

eaux, tire les orbes immenses des atolls. Il voyait le pied de Dieu<br />

posé sur la pédale du métier à tisser et, parce qu’il le disait, ses<br />

compagnons l’appelaient fou. Fou aux yeux du monde, sage aux<br />

yeux de Dieu… et c’est en s’éloignant de la raison humaine que<br />

l’homme arrive enfin à l’esprit du ciel, pour qui la raison n’est<br />

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