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Péquod

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des temps présents, m’évertuant en cours de route de démontrer<br />

à Queequeg que tous ces carêmes, ces ramadans, ces accroupissements<br />

sur les fesses dans le froid et dans des chambres<br />

lugubres étaient une pure sottise, que c’était mauvais pour la<br />

santé, inutile pour l’âme, bref contraire à toutes les lois évidentes<br />

de l’hygiène et du bon sens. Je lui dis également qu’étant<br />

donné qu’il se trouvait être, dans tant de domaines, un sauvage<br />

plein de raison et de sagesse, cela me peinait, cela me peinait<br />

affreusement, de le voir à présent si déplorablement absurde<br />

avec son ridicule ramadan. D’autre part je mis l’accent sur le fait<br />

que le jeûne mène le corps à l’effondrement et provoque dès lors<br />

l’effondrement de l’esprit, et que toutes les pensées nées en période<br />

de jeûne ne peuvent être que des pensées faméliques. C’est<br />

pour cette raison que la plupart des dévots dyspeptiques entretiennent<br />

des idées si mélancoliques sur l’au-delà. En un mot,<br />

Queequeg – et j’étais quelque peu hors du sujet – la notion de<br />

l’enfer est née d’une indigestion de chaussons aux pommes et<br />

s’est propagée depuis lors à cause de toutes les dyspepsies héréditaires<br />

engendrées par les ramadans.<br />

Je demandai ensuite à Queequeg s’il n’avait jamais luimême<br />

été incommodé par la dyspepsie, lui posant ma question<br />

de manière très imagée afin qu’il pût la comprendre parfaitement.<br />

Il répondit que non, sauf une fois dans une circonstance<br />

mémorable. C’était lors d’une fête donnée par le roi son père en<br />

l’honneur d’une grande victoire au cours de laquelle cinquante<br />

ennemis avaient été tués, vers deux heures environ de l’aprèsmidi,<br />

rôtis et mangés le même soir.<br />

– N’en dites pas davantage, Queequeg, dis-je en frissonnant,<br />

cela suffira. Je pouvais, en effet, tirer mes déductions sans<br />

qu’il fût besoin d’insister. J’avais rencontré un marin ayant visité<br />

cette même île et il m’avait raconté qu’à l’issue victorieuse<br />

d’une grande bataille la coutume voulait que tous les morts, se<br />

trouvant dans la cour ou le jardin du vainqueur, fussent rôtis<br />

tout entiers. Ensuite de quoi, on les disposait, un par un, sur de<br />

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