14.12.2018 Views

La pierre et le sabre - Eiji Yoshikawa

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

seu<strong>le</strong> image d’eux qu’el<strong>le</strong> eût jamais eue. Lorsque, à peine en âge<br />

de voir la lumière du jour, el<strong>le</strong> avait été laissée ainsi qu’un<br />

chaton abandonné au seuil du Shippōji, la flûte était glissée<br />

dans sa minuscu<strong>le</strong> obi. El<strong>le</strong> constituait <strong>le</strong> seul <strong>et</strong> unique lien qui<br />

pourrait lui perm<strong>et</strong>tre dans l’avenir de rechercher <strong>le</strong>s siens.<br />

C’était non seu<strong>le</strong>ment l’image, mais la voix de la mère <strong>et</strong> du père<br />

qu’el<strong>le</strong> n’avait jamais vus.<br />

« Ainsi donc, el<strong>le</strong> p<strong>le</strong>ure lorsqu’el<strong>le</strong> en joue ! songeait<br />

Takuan. Peu surprenant qu’el<strong>le</strong> répugne autant à laisser<br />

n’importe qui la manier, voire à en jouer el<strong>le</strong>-même. » Il avait<br />

pitié d’el<strong>le</strong>.<br />

En c<strong>et</strong>te troisième nuit, pour la première fois une lune de<br />

per<strong>le</strong> brilla dans <strong>le</strong> ciel, se dissolvant de temps à autre derrière<br />

des nuées de brume. Les oies sauvages qui immigrent toujours<br />

au Japon en automne <strong>et</strong> repartent au printemps semblaient<br />

r<strong>et</strong>ourner vers <strong>le</strong> nord ; parfois, Takuan <strong>et</strong> Otsū percevaient <strong>le</strong>s<br />

cris qu’el<strong>le</strong>s poussaient parmi <strong>le</strong>s nuages.<br />

Takuan, s’éveillant de sa rêverie, dit :<br />

— Le feu est tombé, Otsū. Voudrais-tu rem<strong>et</strong>tre du bois<br />

dessus ?... Eh bien, que se passe-t-il ? Quelque chose ne va pas ?<br />

Otsū ne répondit point.<br />

— ... Tu p<strong>le</strong>ures ?<br />

Toujours pas de réponse.<br />

— ... Je suis désolé de t’avoir rappelé <strong>le</strong> passé. Mon<br />

intention n’était pas de te bou<strong>le</strong>verser.<br />

— Ce n’est rien, murmura-t-el<strong>le</strong>. Je n’aurais pas dû être<br />

aussi entêtée. Je t’en prie, prends la flûte <strong>et</strong> joues-en.<br />

El<strong>le</strong> tira l’instrument de son obi, <strong>et</strong> <strong>le</strong> lui tendit par-dessus<br />

<strong>le</strong> feu. Il était dans un étui de vieux brocart fané ; <strong>le</strong> tissu était<br />

usé, <strong>le</strong>s cordons effilochés, mais l’ensemb<strong>le</strong> gardait une certaine<br />

élégance désuète.<br />

— Puis-je regarder ? demanda Takuan.<br />

— Oui, je t’en prie. Ça n’a plus d’importance.<br />

— Mais pourquoi n’en jouerais-tu pas à ma place ? Je crois<br />

qu’en réalité j’aimerais mieux écouter. Je vais juste m’asseoir ici<br />

comme ça.<br />

Il se tourna de côté, <strong>le</strong>s bras autour des genoux.<br />

106

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!