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La pierre et le sabre - Eiji Yoshikawa

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Ayant reçu <strong>le</strong> <strong>sabre</strong> en chêne noir, Takezō ne <strong>le</strong> quitta plus.<br />

Le simp<strong>le</strong> fait de <strong>le</strong> tenir en main lui causait un plaisir<br />

indescriptib<strong>le</strong>. Souvent, il en serrait fortement la poignée, ou<br />

bien en passait <strong>le</strong> bord externe <strong>le</strong> long de sa paume à seu<strong>le</strong> fin de<br />

sentir la proportion parfaite de sa courbure. En dormant, il <strong>le</strong><br />

serrait contre lui. Le frais contact de la surface ligneuse contre<br />

sa joue lui rappelait <strong>le</strong> plancher du dōjō où il avait pratiqué <strong>le</strong>s<br />

techniques du <strong>sabre</strong> en hiver. C<strong>et</strong> instrument presque parfait, à<br />

la fois artistique <strong>et</strong> mortel, réveillait en lui l’esprit combatif qu’il<br />

avait hérité de son père.<br />

Takezō avait adoré sa mère, mais el<strong>le</strong> avait quitté son père<br />

<strong>et</strong> était allée vivre ail<strong>le</strong>urs alors qu’il était encore en bas âge, <strong>le</strong><br />

laissant seul avec Munisai, un officier très à cheval sur <strong>le</strong>s<br />

principes, qui n’aurait pas su gâter un enfant dans <strong>le</strong> cas<br />

improbab<strong>le</strong> où il l’aurait voulu. En présence de son père, <strong>le</strong> p<strong>et</strong>it<br />

garçon s’était toujours senti gêné, effrayé, jamais vraiment à<br />

l’aise. Quand il eut neuf ans, il brûlait à tel point d’entendre une<br />

paro<strong>le</strong> bienveillante de sa mère qu’il s’enfuit de chez lui pour<br />

faire tout <strong>le</strong> chemin de la province de Harima, où el<strong>le</strong> vivait.<br />

Takezō ne sut jamais pourquoi sa mère <strong>et</strong> son père s’étaient<br />

séparés, <strong>et</strong>, à c<strong>et</strong> âge, peut-être qu’une explication n’aurait pas<br />

servi à grand-chose. <strong>La</strong> mère avait épousé un autre samouraï<br />

duquel el<strong>le</strong> avait un autre enfant.<br />

Une fois arrivé à Harima, <strong>le</strong> p<strong>et</strong>it fugueur ne fut pas long à<br />

r<strong>et</strong>rouver sa mère. El<strong>le</strong> l’emmena dans un endroit boisé,<br />

derrière <strong>le</strong> sanctuaire local, pour qu’on ne <strong>le</strong>s vît pas, <strong>et</strong> là, <strong>le</strong>s<br />

yeux p<strong>le</strong>ins de larmes, <strong>le</strong> serra dans ses bras en tâchant de lui<br />

expliquer pourquoi il devait r<strong>et</strong>ourner chez son père. Takezō<br />

n’oublia jamais la scène ; toute son existence, il devait se la<br />

rappe<strong>le</strong>r dans <strong>le</strong>s moindres détails.<br />

Bien sûr, Munisai, en bon samouraï qu’il était, dès qu’il<br />

avait appris la disparition de son fils avait envoyé des émissaires<br />

pour <strong>le</strong> ramener. On pouvait faci<strong>le</strong>ment deviner où l’enfant<br />

s’était réfugié. On <strong>le</strong> ramena à Miyamoto comme un fagot, ficelé<br />

sur <strong>le</strong> dos d’un cheval non sellé. Munisai l’accueillit en <strong>le</strong><br />

traitant de moutard inso<strong>le</strong>nt, <strong>et</strong>, dans un état de fureur<br />

confinant à l’hystérie, <strong>le</strong> battit comme plâtre. Plus n<strong>et</strong>tement<br />

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