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La pierre et le sabre - Eiji Yoshikawa

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peinture de Liang-k’ai possède une profondeur <strong>et</strong> une élévation<br />

spirituel<strong>le</strong> qui ne peuvent s’acquérir par la seu<strong>le</strong> étude de l’art.<br />

— Vraiment ? dit Musashi, surpris.<br />

Kō<strong>et</strong>su l’assura que c’était vrai.<br />

L’œuvre ne montrait qu’un écureuil en train de considérer<br />

deux châtaignes tombées, l’une ouverte <strong>et</strong> l’autre étroitement<br />

close, comme s’il eût voulu suivre son impulsion naturel<strong>le</strong> en<br />

mangeant <strong>le</strong>s châtaignes, mais eût hésité par crainte des<br />

piquants. Ce tab<strong>le</strong>au étant exécuté avec beaucoup de liberté, à<br />

l’encre noire, Musashi lui avait trouvé un aspect naïf. Mais plus<br />

il <strong>le</strong> regardait après en avoir parlé à Kō<strong>et</strong>su, mieux il distinguait<br />

que l’artiste avait raison.<br />

Un après-midi, Kō<strong>et</strong>su entra <strong>et</strong> dit :<br />

— Encore en contemplation devant <strong>le</strong> tab<strong>le</strong>au de Liangk’ai<br />

? Il semb<strong>le</strong> vous plaire beaucoup. Quand vous partirez,<br />

rou<strong>le</strong>z-<strong>le</strong> <strong>et</strong> emportez-<strong>le</strong>. Je serais content de vous <strong>le</strong> donner.<br />

Musashi protesta :<br />

— Je ne pourrais l’accepter. J’ai déjà tort de rester si<br />

longtemps chez vous. Comment ! Mais ce doit être un obj<strong>et</strong> de<br />

famil<strong>le</strong> !<br />

— Pourtant, il vous plaît, n’est-ce pas ? dit l’aîné avec un<br />

sourire indulgent. Si vous <strong>le</strong> vou<strong>le</strong>z vous pouvez l’avoir. En<br />

réalité, je n’en ai pas besoin. Les tab<strong>le</strong>aux devraient appartenir à<br />

ceux qui <strong>le</strong>s aiment <strong>et</strong> <strong>le</strong>s apprécient véritab<strong>le</strong>ment. Je suis<br />

certain que c’est là ce qu’aurait désiré l’artiste.<br />

— Alors, c<strong>et</strong>te peinture ne doit pas m’appartenir. A vrai dire,<br />

j’ai pensé plusieurs fois qu’il serait agréab<strong>le</strong> de l’avoir ; mais si je<br />

l’avais qu’en ferais-je ? Je ne suis qu’un homme d’épée errant.<br />

Je ne reste jamais bien longtemps au même endroit.<br />

— Je suppose qu’il vous embarrasserait de traîner avec vous<br />

un tab<strong>le</strong>au partout où vous iriez. A votre âge, vous ne vou<strong>le</strong>z<br />

sans doute pas même une maison à vous ; pourtant, je crois que<br />

tout homme devrait avoir un endroit qu’il pût considérer<br />

comme son chez-soi, même si ce n’est rien de plus qu’une p<strong>et</strong>ite<br />

cabane. Sans maison, l’on souffre de solitude... on se sent perdu,<br />

en quelque sorte. Pourquoi ne cherchez-vous pas quelques<br />

bûches pour vous bâtir une cabane dans un coin tranquil<strong>le</strong> de la<br />

vil<strong>le</strong> ?<br />

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