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La pierre et le sabre - Eiji Yoshikawa

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A l’intérieur de la maison, on entendait p<strong>le</strong>urer des enfants ;<br />

non loin de là, un chien hurlait. <strong>La</strong> femme rattrapa l’homme,<br />

l’empoigna par son toup<strong>et</strong> de cheveux, <strong>et</strong> se mit à <strong>le</strong> rosser.<br />

— ... Et maintenant, où crois-tu que tu vas al<strong>le</strong>r, vieil<br />

imbéci<strong>le</strong> ?<br />

Des voisins accoururent pour tâcher de rétablir l’ordre.<br />

Musashi sourit ironiquement, <strong>et</strong> se r<strong>et</strong>ourna vers <strong>le</strong> magasin<br />

de céramique. Depuis quelque temps, avant que n’éclatât c<strong>et</strong>te<br />

scène de ménage, il se tenait devant la boutique à regarder <strong>le</strong>s<br />

potiers avec une fascination puéri<strong>le</strong>. Les deux hommes, à<br />

l’intérieur, n’étaient pas conscients de sa présence. Les yeux<br />

rivés à <strong>le</strong>ur ouvrage, ils semblaient entrés dans l’argi<strong>le</strong>, en faire<br />

partie. Leur concentration était tota<strong>le</strong>.<br />

Musashi eût aimé travail<strong>le</strong>r l’argi<strong>le</strong>. Depuis l’enfance, <strong>le</strong><br />

travail manuel lui plaisait ; il croyait qu’il aurait su tout au<br />

moins fabriquer un simp<strong>le</strong> bol à thé. Or, à ce moment précis,<br />

l’un des potiers, un homme qui approchait de la soixantaine,<br />

commença à en façonner un. Musashi, observant l’adresse avec<br />

laquel<strong>le</strong> il mouvait ses doigts <strong>et</strong> marnait sa spatu<strong>le</strong>, constata<br />

qu’il avait surestimé ses propres capacités. « Quel<strong>le</strong> technique il<br />

faut pour faire une pièce aussi simp<strong>le</strong> que cel<strong>le</strong>-là ! » se dit-il<br />

avec émerveil<strong>le</strong>ment.<br />

En ce temps-là, il éprouvait souvent une admiration<br />

profonde pour <strong>le</strong> travail d’autrui. Il s’apercevait qu’il respectait<br />

la technique, l’art, <strong>et</strong> même l’aptitude à bien accomplir une<br />

tâche simp<strong>le</strong>, surtout s’il s’agissait d’un ta<strong>le</strong>nt que lui-même ne<br />

possédait pas.<br />

Dans un coin de la boutique, sur un comptoir de fortune fait<br />

d’un vieux panneau de porte, se dressaient des rangées<br />

d’assi<strong>et</strong>tes, de jarres, de coupes à saké, de cruches. On <strong>le</strong>s<br />

vendait comme souvenirs, pour la misérab<strong>le</strong> somme de vingt à<br />

trente pièces de monnaie, à des gens qui montaient au temp<strong>le</strong> <strong>et</strong><br />

en redescendaient. Le caractère humb<strong>le</strong> de la cabane en<br />

planches formait un saisissant contraste avec la ferveur des<br />

potiers voués à <strong>le</strong>ur tâche. Musashi se demandait s’ils avaient<br />

toujours assez à manger. <strong>La</strong> vie, à ce qu’il paraissait, n’était pas<br />

aussi faci<strong>le</strong> qu’el<strong>le</strong> <strong>le</strong> semblait parfois.<br />

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