14.12.2018 Views

La pierre et le sabre - Eiji Yoshikawa

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

enommée, de gloire, ou plutôt d’un moyen de gagner <strong>le</strong>ur vie<br />

sans renoncer à quoi que ce fût.<br />

C<strong>et</strong>te idée était curieuse. Ayant depuis lors appris de<br />

Takuan que la vie est un joyau qu’il convient de chérir, Musashi<br />

savait que loin de ne renoncer à rien, lui <strong>et</strong> Matahachi avaient<br />

sans <strong>le</strong> savoir offert <strong>le</strong>ur bien <strong>le</strong> plus précieux. Chacun d’eux<br />

avait littéra<strong>le</strong>ment misé tout ce qu’il possédait sur l’espoir de<br />

recevoir une misérab<strong>le</strong> solde de samouraï. Avec <strong>le</strong> recul, il se<br />

demandait comment ils pouvaient avoir été aussi sots.<br />

Il s’aperçut qu’il approchait de Daigo, au sud de la vil<strong>le</strong> ; en<br />

nage, il résolut de s’arrêter pour se reposer.<br />

Il entendit au loin une voix qui criait :<br />

— Attendez ! Attendez !<br />

Tout en bas de l’abrupte route de montagne, il reconnut la<br />

silhou<strong>et</strong>te du p<strong>et</strong>it esprit des eaux, Jōtarō, qui courait à perdre<br />

ha<strong>le</strong>ine. Bientôt, <strong>le</strong>s yeux irrités de l’enfant se plongeaient dans<br />

<strong>le</strong>s siens.<br />

— ... Vous m’avez menti ! criait Jōtarō. Pourquoi donc avezvous<br />

fait ça ?<br />

Essoufflé par sa course, la face empourprée, il parlait d’un<br />

ton belliqueux bien qu’il apparût clairement qu’il était au bord<br />

des larmes.<br />

Musashi ne put s’empêcher de rire de son accoutrement. Il<br />

avait troqué <strong>le</strong>s vêtements de travail de la veil<strong>le</strong> pour un kimono<br />

ordinaire, mais trop p<strong>et</strong>it de moitié pour lui ; <strong>le</strong> bas arrivait à<br />

peine aux genoux, <strong>et</strong> <strong>le</strong>s manches aux coudes. A son côté<br />

pendait un <strong>sabre</strong> de bois plus grand que lui ; sur son dos, un<br />

chapeau de vannerie aussi large qu’un parapluie.<br />

Tandis qu’il reprochait à grands cris à Musashi de l’avoir<br />

laissé, il éclata en sanglots. Musashi <strong>le</strong> serra dans ses bras <strong>et</strong><br />

tenta de <strong>le</strong> conso<strong>le</strong>r mais l’enfant continuait de gémir : il<br />

semblait se dire que dans <strong>le</strong>s montagnes, loin de tous <strong>le</strong>s<br />

regards, il pouvait se laisser al<strong>le</strong>r.<br />

Enfin, Musashi lui demanda :<br />

— Ça te fait du bien de p<strong>le</strong>urnicher comme ça ?<br />

— Ça m’est égal ! sanglotait Jōtarō. Vous êtes une grande<br />

personne, <strong>et</strong> pourtant vous m’avez menti. Vous m’avez dit que<br />

vous me perm<strong>et</strong>triez d’être votre discip<strong>le</strong>... <strong>et</strong> puis vous êtes<br />

225

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!