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La pierre et le sabre - Eiji Yoshikawa

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plantée là. Voilà sûrement pourquoi el<strong>le</strong> gémissait pour qu’il<br />

revînt.<br />

« C<strong>et</strong>te fil<strong>le</strong> est incorrigib<strong>le</strong> ! » se disait-el<strong>le</strong> ; el<strong>le</strong> haïssait<br />

Otsū plus encore que Musashi. Dans son esprit, la jeune fil<strong>le</strong><br />

était légitimement sa bru, que <strong>le</strong>s noces eussent ou non eu lieu.<br />

<strong>La</strong> promesse avait été faite, <strong>et</strong> si la fiancée de son fils en était<br />

venue à <strong>le</strong> détester, el<strong>le</strong> devait aussi détester Osugi el<strong>le</strong>-même.<br />

— ... Attends ! glapit-el<strong>le</strong> à nouveau, la bouche ouverte<br />

presque d’une oreil<strong>le</strong> à l’autre.<br />

<strong>La</strong> vio<strong>le</strong>nce de ce cri saisit Jōtarō qui se trouvait juste à côté<br />

d’el<strong>le</strong>. Il l’empoigna en vociférant :<br />

— Qu’est-ce que vous avez derrière la tête, espèce de<br />

mégère ?<br />

— Ôte-toi de mes jambes ! s’écria Osugi en <strong>le</strong> repoussant.<br />

Jōtarō ne savait ni qui el<strong>le</strong> était ni pourquoi Otsū avait fui à<br />

sa vue, mais il sentait qu’el<strong>le</strong> représentait un danger. En digne<br />

fils d’Aoki Tanzaemon <strong>et</strong> unique discip<strong>le</strong> de Miyamoto Musashi,<br />

il refusa de se voir ainsi écarter par <strong>le</strong> coude osseux d’une vieil<strong>le</strong><br />

sorcière.<br />

— Vous n’avez pas <strong>le</strong> droit de me traiter comme ça !<br />

Il la rattrapa <strong>et</strong> sauta carrément sur son dos. Prompte à se<br />

débarrasser de lui, el<strong>le</strong> lui serra <strong>le</strong> cou au creux du bras gauche<br />

<strong>et</strong> lui administra une volée de bonnes claques.<br />

— ... Espèce de p<strong>et</strong>it démon ! Ça t’apprendra à te mê<strong>le</strong>r de<br />

tes affaires !<br />

Cependant que Jōtarō se débattait pour se dégager, Otsū<br />

continuait sa course, l’esprit sens dessus dessous. El<strong>le</strong> était<br />

jeune <strong>et</strong>, pareil<strong>le</strong> à la plupart des jeunes, p<strong>le</strong>ine d’espérance, peu<br />

encline à gémir sur son sort. El<strong>le</strong> savourait <strong>le</strong>s délices de chaque<br />

nouveau jour comme s’il se fût agi des f<strong>le</strong>urs d’un jardin<br />

enso<strong>le</strong>illé. Chagrins <strong>et</strong> déceptions faisaient partie de la vie, mais<br />

ne l’abattaient pas longtemps. De même, el<strong>le</strong> ne pouvait<br />

concevoir <strong>le</strong> plaisir entièrement distinct de la souffrance.<br />

Mais ce jour-là, el<strong>le</strong> avait été arrachée à son optimisme, non<br />

pas une fois, mais deux. Que diab<strong>le</strong> était-el<strong>le</strong> venue faire là ce<br />

matin ? se demandait-el<strong>le</strong>.<br />

Ni <strong>le</strong>s larmes, ni la colère n’étaient capab<strong>le</strong>s d’amortir <strong>le</strong><br />

choc. Après avoir un instant songé au suicide, el<strong>le</strong> avait<br />

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