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La pierre et le sabre - Eiji Yoshikawa

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Sans attendre de réponse, el<strong>le</strong> fit demi-tour <strong>et</strong> se rendit sous<br />

l’arbre. Là, el<strong>le</strong> regarda longtemps en l’air, comme en transe.<br />

Enfin, el<strong>le</strong> partit clopin-clopant vers <strong>le</strong> village, sa badine de<br />

mûrier à la main.<br />

Takuan regagna sa chambre où il resta jusqu’au soir.<br />

<strong>La</strong> chambre d’Otsū n’était pas loin de la sienne, dans <strong>le</strong><br />

même bâtiment. <strong>La</strong> porte de la jeune fil<strong>le</strong> resta aussi fermée tout<br />

<strong>le</strong> jour, sauf quand l’ouvrait l’acolyte qui lui apporta plusieurs<br />

fois des médicaments ou un pot en terre p<strong>le</strong>in d’épais gruau de<br />

riz. Quand on l’avait trouvée à moitié morte, sous la pluie, la<br />

nuit précédente, il avait fallu la traîner à l’intérieur, criant <strong>et</strong> se<br />

débattant, <strong>et</strong> lui faire ava<strong>le</strong>r de force un peu de thé. Le prêtre<br />

l’avait alors sévèrement grondée tandis qu’el<strong>le</strong> se tenait assise,<br />

mu<strong>et</strong>te, adossée au mur. Au matin, el<strong>le</strong> avait une forte fièvre <strong>et</strong><br />

pouvait à peine <strong>le</strong>ver la tête pour absorber <strong>le</strong> gruau.<br />

<strong>La</strong> nuit tomba, <strong>et</strong>, en vio<strong>le</strong>nt contraste avec <strong>le</strong> soir<br />

précédent, la lune brilla comme un trou n<strong>et</strong>tement découpé<br />

dans <strong>le</strong> ciel. Quand tous <strong>le</strong>s autres furent plongés dans un<br />

profond sommeil, Takuan posa <strong>le</strong> livre qu’il lisait, chaussa ses<br />

socques <strong>et</strong> sortit dans la cour.<br />

— Takezō ! appela-t-il.<br />

Là-haut, une branche remua, <strong>et</strong> d’étincelantes gouttes de<br />

rosée tombèrent.<br />

« ... Le pauvre garçon, je suppose qu’il n’a pas la force de<br />

répondre », se dit Takuan.<br />

— Takezō ! Takezō !<br />

— Qu’est-ce que tu veux, espèce de salaud de moine ?<br />

répondit l’autre avec férocité.<br />

Takuan était rarement pris au dépourvu, mais il ne put<br />

cacher sa surprise :<br />

— Il est certain que tu hur<strong>le</strong>s bien fort, pour un homme à<br />

l’artic<strong>le</strong> de la mort. Es-tu sûr de n’être pas en réalité un poisson<br />

ou un genre quelconque de monstre marin ? A ce rythme, tu<br />

devrais durer encore cinq ou six jours. A propos, comment va<br />

ton estomac ? Assez vide pour ton goût ?<br />

— Trêve de bavardages, Takuan. Contente-toi de me couper<br />

la tête <strong>et</strong> d’en finir.<br />

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