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La pierre et le sabre - Eiji Yoshikawa

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Impossib<strong>le</strong> à Musashi d’ignorer purement <strong>et</strong> simp<strong>le</strong>ment <strong>le</strong>s<br />

femmes ; la frénésie que <strong>le</strong>urs attouchements avaient fait naître<br />

en lui fut longue à se calmer. Le simp<strong>le</strong> souvenir du vio<strong>le</strong>nt<br />

parfum de poudre blanche accélérait son pouls que nul effort<br />

mental ne parvenait à apaiser. Menace plus dangereuse qu’un<br />

ennemi debout devant lui, <strong>sabre</strong> au clair ; il ignorait absolument<br />

comme y faire face. Plus tard, <strong>le</strong> corps brûlé par <strong>le</strong> feu du désir,<br />

il s’agitait <strong>et</strong> se r<strong>et</strong>ournait toute la nuit. Même l’innocente Otsū<br />

devenait parfois l’obj<strong>et</strong> de ses fantasmes érotiques.<br />

Aujourd’hui, il avait son pied pour détourner son esprit des<br />

femmes ; mais <strong>le</strong> fait de courir pour <strong>le</strong>ur échapper alors qu’il<br />

était à peine capab<strong>le</strong> de marcher équivalait à traverser un f<strong>le</strong>uve<br />

de métal en fusion. A chaque pas, un élancement angoissé<br />

montait de sa plante de pied. Ses lèvres rougissaient, ses mains<br />

devenaient aussi poisseuses que du miel, <strong>et</strong> la sueur de ses<br />

cheveux dégageait une odeur acre. Le simp<strong>le</strong> fait de sou<strong>le</strong>ver <strong>le</strong><br />

pied b<strong>le</strong>ssé lui prenait toute l’énergie dont il était capab<strong>le</strong> ;<br />

quelquefois, il avait l’impression que son corps allait<br />

brusquement tomber en pièces. Il ne s’était pourtant fait aucune<br />

illusion. En quittant l’auberge, il savait que ce serait une torture,<br />

<strong>et</strong> il entendait l’endurer. Il y parvint, jurant à voix basse à<br />

chaque pas.<br />

<strong>La</strong> traversée de la rivière Isuzu <strong>et</strong> l’entrée dans l’enceinte du<br />

sanctuaire intérieur apportèrent un changement d’atmosphère<br />

bienvenu. Musashi sentit une présence sacrée, la sentit dans <strong>le</strong>s<br />

plantes, dans <strong>le</strong>s arbres, <strong>et</strong> jusque dans <strong>le</strong> chant des oiseaux. Ce<br />

que c’était, il n’aurait su <strong>le</strong> dire, mais c’était là.<br />

Il s’effondra sur <strong>le</strong>s racines d’un grand cryptomeria,<br />

gémissant doucement de souffrance <strong>et</strong> se tenant <strong>le</strong> pied.<br />

Longtemps il resta assis là dans une immobilité de <strong>pierre</strong>, <strong>le</strong><br />

corps brûlant de fièvre bien que <strong>le</strong> vent froid lui mordît la peau.<br />

Pourquoi s’était-il soudain <strong>le</strong>vé de son lit pour fuir<br />

l’auberge ? N’importe quel être normal y fût tranquil<strong>le</strong>ment<br />

resté jusqu’à la guérison du pied. N’était-il point puéril, voire<br />

imbéci<strong>le</strong>, pour un adulte de se laisser dominer par<br />

l’impatience ?<br />

Mais ce n’était pas la seu<strong>le</strong> impatience qui l’avait fait agir.<br />

C’était un besoin spirituel <strong>et</strong> très profond. Malgré toute la<br />

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