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La pierre et le sabre - Eiji Yoshikawa

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— Heu... heu... Je sais, je sais. Fichez-moi la paix.<br />

Ce débit de saké n’était pas l’unique endroit où Matahachi<br />

eût entendu par<strong>le</strong>r du combat du Rendaiji. Il se trouvait sur<br />

toutes <strong>le</strong>s lèvres, <strong>et</strong> plus Musashi devenait célèbre, plus son ami<br />

égaré se sentait malheureux.<br />

— ... Hé là, encore un ! commanda-t-il. Inuti<strong>le</strong> de <strong>le</strong><br />

chauffer ; contentez-vous de <strong>le</strong> verser dans ma coupe.<br />

— Vous vous sentez bien, monsieur ? Vous êtes<br />

affreusement pâ<strong>le</strong>.<br />

— Qu’est-ce que ça peut vous faire ? Ça me regarde, non ?<br />

Il s’appuya de nouveau contre <strong>le</strong> mur, <strong>et</strong> croisa <strong>le</strong>s bras.<br />

« Un de ces jours, je <strong>le</strong>ur montrerai, songeait-il. Le <strong>sabre</strong><br />

n’est pas la seu<strong>le</strong> route qui mène à la réussite. Que l’on y accède<br />

par la richesse, par un titre ou en devenant un bandit, ce qu’il<br />

faut, c’est arriver au somm<strong>et</strong>. Musashi <strong>et</strong> moi nous avons tous<br />

deux vingt-trois ans. Peu des hommes qui se font un nom à c<strong>et</strong><br />

âge aboutissent à grand-chose. A trente ans, ils sont vieux <strong>et</strong><br />

chancelants : des enfants prodiges sur <strong>le</strong> r<strong>et</strong>our. »<br />

Le bruit du duel au Rendaiji s’était répandu à Osaka, ce qui<br />

avait aussitôt attiré Matahachi à Kyoto. Il n’avait pas d’intention<br />

précise ; pourtant, <strong>le</strong> triomphe de Musashi lui pesait à tel point<br />

qu’il lui fallait voir de ses propres yeux ce qu’il en était. « Il vo<strong>le</strong><br />

haut pour l’instant, se disait avec hostilité Matahachi, mais il<br />

tombera forcément. L’éco<strong>le</strong> Yoshioka fourmil<strong>le</strong> en hommes<br />

remarquab<strong>le</strong>s : <strong>le</strong>s Dix Escrimeurs, Denshichirō, des tas<br />

d’autres... » Il attendait impatiemment <strong>le</strong> jour où Musashi<br />

recevrait la raclée qui lui était due. D’ici là, sa propre étoi<strong>le</strong> ne<br />

pouvait manquer de changer.<br />

— Oh ! que j’ai soif ! dit-il à voix haute.<br />

En s’appuyant au mur, il réussit à se <strong>le</strong>ver. Tous <strong>le</strong>s yeux<br />

l’observaient tandis que, penché sur un baril d’eau qui se<br />

trouvait dans <strong>le</strong> coin, la tête presque dedans, il engloutissait à la<br />

louche plusieurs gorgées énormes. Il rej<strong>et</strong>a la louche, écarta <strong>le</strong><br />

rideau de l’estamin<strong>et</strong>, <strong>et</strong> sortit en titubant. Le patron, prompt à<br />

se rem<strong>et</strong>tre de sa stupéfaction, courut après la silhou<strong>et</strong>te<br />

chancelante.<br />

— Monsieur, vous n’avez pas payé ! criait-il.<br />

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