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La pierre et le sabre - Eiji Yoshikawa

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sur <strong>le</strong> seuil <strong>et</strong> s’en al<strong>le</strong>r ; mais maintenant il nourrissait des<br />

sentiments plus charitab<strong>le</strong>s : il se rappelait qu’il importait<br />

d’accorder à son onc<strong>le</strong> <strong>et</strong> sa tante <strong>le</strong> bénéfice du doute.<br />

Il était trop naïf pour bien juger son entourage. S’il avait été<br />

riche <strong>et</strong> célèbre, ses sentiments envers sa famil<strong>le</strong> eussent été<br />

convenab<strong>le</strong>s ; mais <strong>le</strong> voilà qui débarquait du froid dans un<br />

kimono qui ressemblait à un torchon sa<strong>le</strong>, <strong>et</strong> la veil<strong>le</strong> du Jour de<br />

l’An, pour comb<strong>le</strong>. Dans ces conditions, <strong>le</strong> manque d’affection<br />

familia<strong>le</strong> de sa tante <strong>et</strong> de son onc<strong>le</strong> n’avait rien de surprenant.<br />

De ce manque d’affection Musashi eut bientôt la preuve. Il<br />

s’était couché avec la faim dans <strong>le</strong> candide espoir qu’on lui<br />

donnerait quelque chose à manger. Il avait beau sentir une<br />

odeur de nourriture <strong>et</strong> entendre des bruits de vaissel<strong>le</strong> à la<br />

cuisine, nul n’approcha de sa chambre où <strong>le</strong> brasero ne luisait<br />

pas plus qu’une lucio<strong>le</strong>. Il conclut bientôt que la faim <strong>et</strong> <strong>le</strong> froid<br />

étaient secondaires ; <strong>le</strong> plus important pour <strong>le</strong> moment était de<br />

dormir, ce qu’il fit.<br />

Il se réveilla environ quatre heures plus tard, au son de<br />

cloches de temp<strong>le</strong>s qui sonnaient la fin de l’année. Dormir lui<br />

avait fait du bien. Se <strong>le</strong>vant d’un bond, il sentit que sa fatigue<br />

avait disparu. Il avait la tête fraîche <strong>et</strong> l’esprit clair.<br />

A l’intérieur de la vil<strong>le</strong> <strong>et</strong> autour d’el<strong>le</strong>, d’énormes cloches<br />

bourdonnaient sur un rythme <strong>le</strong>nt <strong>et</strong> majestueux, marquant la<br />

fin des ténèbres <strong>et</strong> <strong>le</strong> début de la lumière. Cent huit coups pour<br />

<strong>le</strong>s cent huit illusions de la vie – chaque coup appelant <strong>le</strong>s<br />

hommes <strong>et</strong> <strong>le</strong>s femmes à réfléchir sur la vanité de <strong>le</strong>ur existence.<br />

Musashi se demanda combien de gens, c<strong>et</strong>te nuit-là,<br />

pouvaient dire : « J’ai eu raison. J’ai fait ce que je devais faire.<br />

Je n’ai pas de regr<strong>et</strong>s. » Pour lui, chaque coup de glas suscitait<br />

un frémissement de remords. Il ne parvenait à se rappe<strong>le</strong>r que<br />

ce qu’il avait fait de mal au cours de l’année écoulée. Et il ne<br />

s’agissait pas seu<strong>le</strong>ment de l’année écoulée : l’année d’avant, <strong>et</strong><br />

l’année d’avant cel<strong>le</strong>-là, toutes <strong>le</strong>s années passées avaient<br />

apporté des regr<strong>et</strong>s. Il n’y avait pas eu une seu<strong>le</strong> année sans<br />

regr<strong>et</strong>s. Et même, il n’y avait guère eu un seul jour sans regr<strong>et</strong>s.<br />

D’après c<strong>et</strong>te vision limitée du monde, il semblait que,<br />

quoique <strong>le</strong>s gens fissent, ils en arrivaient bientôt aux regr<strong>et</strong>s.<br />

Les hommes, par exemp<strong>le</strong>, prenaient femme avec l’intention de<br />

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