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La pierre et le sabre - Eiji Yoshikawa

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sanctuaire d’Atsuta. <strong>La</strong> découverte de ce lieu saint tombait<br />

certes à propos.<br />

Tout de suite à l’intérieur de la porte, il y avait un bassin de<br />

<strong>pierre</strong> où <strong>le</strong>s fidè<strong>le</strong>s pouvaient se purifier avant de prier.<br />

Musashi se rinça la bouche, puis l’emplit une seconde fois <strong>et</strong><br />

aspergea la poignée de son <strong>sabre</strong> <strong>et</strong> <strong>le</strong>s cordons de ses sanda<strong>le</strong>s.<br />

Ainsi purifié, il se r<strong>et</strong>roussa <strong>le</strong>s manches avec une courroie de<br />

cuir <strong>et</strong> se coiffa d’un serre-tête en coton. Fléchissant <strong>le</strong>s musc<strong>le</strong>s<br />

de ses jambes en marchant, il gagna <strong>le</strong>s degrés du sanctuaire <strong>et</strong><br />

mit la main sur la corde qui pendait du gong fixé au-dessus de<br />

l’entrée. Suivant la coutume séculaire, il fut sur <strong>le</strong> point de<br />

frapper <strong>le</strong> gong <strong>et</strong> d’adresser une prière à la divinité.<br />

Il se reprit, <strong>et</strong> rapidement r<strong>et</strong>ira la main. « Qu’est-ce que je<br />

fais là ? » songea-t-il avec horreur. <strong>La</strong> corde, nattée de coton<br />

rouge <strong>et</strong> blanc, paraissait l’inviter à la saisir, à sonner <strong>le</strong> gong <strong>et</strong><br />

à faire sa prière. Il la regarda fixement. « Qu’allais-je<br />

demander ? Qu’ai-je besoin du secours des dieux ? Ne suis-je<br />

pas déjà un avec l’univers ? N’ai-je pas toujours affirmé que je<br />

devais être prêt à affronter la mort à tout moment ? Ne me suisje<br />

pas exercé à affronter la mort avec calme <strong>et</strong> confiance ? »<br />

Il était atterré. Sans y penser, sans se rappe<strong>le</strong>r ses années<br />

d’entraînement <strong>et</strong> d’autodiscipline, il avait failli implorer une<br />

aide surnaturel<strong>le</strong>. Quelque chose n’allait pas car au fond de luimême<br />

il savait que la véritab<strong>le</strong> alliée du samouraï ce n’étaient<br />

pas <strong>le</strong>s dieux mais la Mort en personne. <strong>La</strong> veil<strong>le</strong> au soir <strong>et</strong> plus<br />

tôt <strong>le</strong> matin même, il avait cru accepter son destin. Or, en<br />

implorant <strong>le</strong> secours de la divinité, il était à un cheveu d’oublier<br />

tout ce qu’il avait jamais appris. <strong>La</strong> tête courbée par la honte, il<br />

se tenait là comme un rocher.<br />

« Quel fou je suis ! Je croyais avoir atteint la pur<strong>et</strong>é,<br />

l’illumination ; mais il y a encore en moi quelque chose qui<br />

désire ardemment continuer de vivre. Quelque illusion qui<br />

évoque l’image d’Otsū ou de ma sœur. Quelque faux espoir qui<br />

me porte à saisir n’importe quel<strong>le</strong> perche qui se présente. Une<br />

diabolique nostalgie qui me pousse à m’oublier moi-même, qui<br />

me donne la tentation d’implorer <strong>le</strong> secours des dieux. »<br />

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