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La pierre et le sabre - Eiji Yoshikawa

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sans porte de la maison abandonnée, des pistes fraîches de<br />

renards s’entrecroisaient sur <strong>le</strong> sol de terre.<br />

Le prêtre mendiant, rentré en titubant avant <strong>le</strong> jour, avait<br />

succombé à la fatigue sur <strong>le</strong> sol de l’office, sans lâcher son<br />

shakuhachi. Son kimono <strong>et</strong> sa soutane sa<strong>le</strong>s étaient mouillés de<br />

rosée <strong>et</strong> maculés de taches d’herbe ramassées tandis qu’il errait<br />

comme une âme en peine à travers la nuit. Comme il ouvrait <strong>le</strong>s<br />

yeux <strong>et</strong> se m<strong>et</strong>tait sur son séant, son nez se fronça, ses narines <strong>et</strong><br />

ses yeux s’écarquillèrent <strong>et</strong> un éternuement puissant <strong>le</strong> secoua.<br />

Il ne fit aucun effort pour essuyer la morve qui dégoulinait de<br />

son nez dans sa moustache.<br />

Il demeura quelques minutes assis là, avant de se rappe<strong>le</strong>r<br />

qu’il lui restait du saké de la veil<strong>le</strong> au soir. En bougonnant tout<br />

seul, il suivit un long couloir jusqu’à la sal<strong>le</strong> où se trouvait <strong>le</strong><br />

foyer, au dos de la maison. <strong>La</strong> clarté du jour lui révélait un plus<br />

grand nombre de pièces qu’il ne lui avait semblé à la nuit, mais<br />

il trouva son chemin sans difficulté. A son étonnement, la jarre<br />

de saké n’était plus à l’endroit où il l’avait laissée.<br />

En revanche, il y avait un inconnu près du foyer, la tête sur<br />

<strong>le</strong> bras <strong>et</strong> la bouche baveuse, en p<strong>le</strong>in sommeil. Le prêtre ne<br />

comprit que trop bien où se trouvait <strong>le</strong> saké.<br />

Bien sûr, il ne manquait pas seu<strong>le</strong>ment <strong>le</strong> saké. Un rapide<br />

examen révéla qu’il ne restait plus un grain de gruau de riz<br />

prévu pour <strong>le</strong> p<strong>et</strong>it déjeuner. Le prêtre devint écarlate de<br />

fureur ; il pouvait se passer du saké mais <strong>le</strong> riz était une<br />

question de vie ou de mort. Avec un glapissement furieux, il<br />

lança de toutes ses forces un coup de pied au dormeur ; mais<br />

Matahachi n’eut qu’un grognement ensommeillé, r<strong>et</strong>ira son bras<br />

de sous lui, <strong>et</strong> <strong>le</strong>va une tête paresseuse.<br />

— Espèce de... espèce de... ! bredouillait <strong>le</strong> prêtre en lui<br />

donnant un second coup de pied.<br />

— Qu’est-ce qui vous prend ? s’écria Matahachi.<br />

Tandis qu’il se <strong>le</strong>vait d’un bond, <strong>le</strong>s veines se gonflèrent sur<br />

son visage ensommeillé.<br />

— ... A-t-on idée de me frapper comme ça ?<br />

— Tu mérites plus que des coups de pied ! Qui t’a permis<br />

d’entrer ici pour me vo<strong>le</strong>r mon riz <strong>et</strong> mon saké ?<br />

— Oh ! c’était à vous ?<br />

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