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La pierre et le sabre - Eiji Yoshikawa

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— Non !<br />

— Tu veux rire !<br />

— Comment a-t-il l’intention de s’y prendre ?<br />

Il s’ensuivit des plaisanteries <strong>et</strong> des rires moqueurs, mais il<br />

y avait aussi un courant sous-jacent de chuchotements inqui<strong>et</strong>s.<br />

Quand la nouvel<strong>le</strong> arriva jusqu’au prêtre du temp<strong>le</strong>, il hocha<br />

une tête avisée en observant que la bouche humaine est la porte<br />

des catastrophes.<br />

Mais la personne la plus sincèrement troublée fut Otsū. <strong>La</strong><br />

veil<strong>le</strong>, la l<strong>et</strong>tre d’adieu de Matahachi l’avait b<strong>le</strong>ssée plus que la<br />

nouvel<strong>le</strong> de sa mort n’eût jamais pu <strong>le</strong> faire. El<strong>le</strong> avait eu foi en<br />

son fiancé au point d’accepter, pour lui, d’être l’esclave de sa<br />

bel<strong>le</strong>-mère, la redoutab<strong>le</strong> Osugi. Vers qui se tourner<br />

maintenant ?<br />

Pour Otsū, plongée dans <strong>le</strong>s ténèbres du désespoir, Takuan<br />

était l’unique point lumineux de la vie, <strong>le</strong> dernier rayon<br />

d’espérance. <strong>La</strong> veil<strong>le</strong>, tandis qu’el<strong>le</strong> p<strong>le</strong>urait seu<strong>le</strong> dans l’atelier<br />

de tissage, el<strong>le</strong> avait saisi un couteau tranchant <strong>et</strong> lacéré la toi<strong>le</strong><br />

de kimono où el<strong>le</strong> avait mis son âme entière. El<strong>le</strong> avait aussi<br />

envisagé de plonger la fine lame dans sa propre gorge. Malgré la<br />

tentation aiguë, l’arrivée de Takuan avait fini par lui chasser de<br />

l’esprit c<strong>et</strong>te idée. Après l’avoir calmée <strong>et</strong> lui avoir fait accepter<br />

de servir au capitaine <strong>le</strong> saké, il lui avait tapoté l’épau<strong>le</strong>. El<strong>le</strong><br />

sentait encore la bonne cha<strong>le</strong>ur de sa main robuste alors qu’il la<br />

faisait sortir de l’atelier.<br />

Et voilà qu’il venait de conclure ce marché insensé.<br />

Presque autant que de sa propre sécurité, Otsū s’inquiétait<br />

du risque de perdre <strong>le</strong> seul ami qu’el<strong>le</strong> eût au monde, à cause de<br />

son absurde proposition. El<strong>le</strong> se sentait abandonnée, dans une<br />

détresse noire. Le simp<strong>le</strong> bon sens lui disait qu’il était ridicu<strong>le</strong><br />

de croire qu’el<strong>le</strong> <strong>et</strong> Takuan pourraient r<strong>et</strong>rouver Takezō dans un<br />

délai aussi court.<br />

Takuan eut même l’audace d’échanger des serments avec<br />

« Barbe hirsute » devant l’autel de Hachiman, <strong>le</strong> dieu de la<br />

guerre. A son r<strong>et</strong>our, Otsū lui reprocha sévèrement sa témérité<br />

mais il affirma qu’il n’y avait pas lieu de s’inquiéter. Il avait<br />

l’intention, disait-il, de soulager <strong>le</strong> village de son fardeau, de<br />

rendre <strong>le</strong>s routes à nouveau sûres, <strong>et</strong> de faire cesser <strong>le</strong> gaspillage<br />

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