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La pierre et le sabre - Eiji Yoshikawa

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Un mystérieux attrait <strong>le</strong> liait. Quel mauvais sortilège <strong>le</strong><br />

r<strong>et</strong>enait ici ? C<strong>et</strong>te femme était-el<strong>le</strong> un démon déguisé ? El<strong>le</strong> <strong>le</strong><br />

maudissait, lui disait de partir, jurait qu’il ne lui apportait que<br />

des ennuis ; puis, au cœur de la nuit, el<strong>le</strong> devenait tout miel en<br />

déclarant que ce n’était qu’une plaisanterie, qu’en réalité el<strong>le</strong><br />

n’en pensait pas un mot. Et bien qu’el<strong>le</strong> frisât la quarantaine il y<br />

avait ces lèvres... ces lèvres purpurines, aussi attirantes que<br />

cel<strong>le</strong>s de sa fil<strong>le</strong>.<br />

Mais ce n’était pas là toute la vérité. En dernière analyse,<br />

Matahachi n’avait pas <strong>le</strong> courage, devant Okō <strong>et</strong> Akemi, de<br />

travail<strong>le</strong>r comme ouvrier à la journée. Il était devenu paresseux<br />

<strong>et</strong> mou ; <strong>le</strong> jeune homme habillé de soie <strong>et</strong> capab<strong>le</strong> de distinguer<br />

au goût <strong>le</strong> saké de Nada <strong>et</strong> <strong>le</strong> saké local était loin du simp<strong>le</strong> <strong>et</strong><br />

rude Matahachi de Sekigahara. Pire, mener c<strong>et</strong>te vie étrange<br />

avec une femme plus âgée lui avait dérobé sa jeunesse. Par <strong>le</strong>s<br />

années il était jeune encore, mais en esprit il était dissolu,<br />

méchant, paresseux <strong>et</strong> rancunier.<br />

« Pourtant, je <strong>le</strong> ferai ! se jura-t-il. Je partirai dès<br />

maintenant ! » Il se donna sur la tête un dernier coup coléreux,<br />

se <strong>le</strong>va d’un bond, <strong>et</strong> cria :<br />

— Je partirai d’ici aujourd’hui même !<br />

En écoutant sa propre voix, il lui vint soudain à l’esprit qu’il<br />

n’y avait là personne pour <strong>le</strong> r<strong>et</strong>enir, rien qui l’attachât<br />

véritab<strong>le</strong>ment à c<strong>et</strong>te maison. <strong>La</strong> seu<strong>le</strong> chose qu’il possédât en<br />

réalité, <strong>et</strong> ne pût laisser derrière lui, c’était son <strong>sabre</strong>, qu’il se<br />

hâta de glisser dans son obi. Se mordant <strong>le</strong>s lèvres, il se dit avec<br />

détermination : « Après tout, je suis un homme. »<br />

Il aurait pu sortir au pas de charge par la grande porte en<br />

brandissant son <strong>sabre</strong> comme un général victorieux, mais par la<br />

force de l’habitude il sauta dans ses sanda<strong>le</strong>s sa<strong>le</strong>s, <strong>et</strong> emprunta<br />

la porte de la cuisine.<br />

Jusque-là, tout allait bien. Il était dehors ! Mais ensuite ?...<br />

Ses pieds s’immobilisèrent. Il se tint là, sans bouger, dans la<br />

brise rafraîchissante du jeune printemps. Ce n’était pas la<br />

lumière éblouissante qui l’empêchait d’avancer. Une question se<br />

posait : où al<strong>le</strong>r ?<br />

En c<strong>et</strong> instant, il semblait à Matahachi que <strong>le</strong> monde était<br />

une vaste mer agitée, sans rien où s’accrocher. Outre Kyoto, il<br />

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