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La pierre et le sabre - Eiji Yoshikawa

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désespoir ; <strong>et</strong> pourtant une certaine force, dans <strong>le</strong> ton de sa voix,<br />

obligeait Takuan à réévaluer son jugement.<br />

— ... Si j’avais eu un doute quelconque, dit-el<strong>le</strong>, si j’avais cru<br />

que je renoncerais, jamais je n’aurais quitté <strong>le</strong> Shippōji. Je reste<br />

bien décidée à rencontrer Musashi. <strong>La</strong> seu<strong>le</strong> question qui se<br />

pose à moi, c’est de savoir si cela <strong>le</strong> gênera, si <strong>le</strong> fait que je<br />

continue à vivre <strong>le</strong> rendra malheureux. Dans ce cas, il faudra<br />

que j’y remédie !<br />

— Que veux-tu dire au juste ?<br />

— Je ne puis te répondre.<br />

— Prends garde, Otsū !<br />

— A quoi donc ?<br />

— Sous ce brillant <strong>et</strong> joyeux so<strong>le</strong>il, <strong>le</strong> dieu de la mort cherche<br />

à t’attirer.<br />

— Je... je ne sais pas ce que tu veux dire.<br />

— Je m’en doute, mais c’est parce que <strong>le</strong> dieu de la mort te<br />

donne des forces. Il serait fou de mourir, Otsū, surtout pour une<br />

simp<strong>le</strong> histoire d’amour non partagé, dit Takuan en riant.<br />

Otsū s’irritait de nouveau. El<strong>le</strong> eût tout aussi bien pu<br />

chanter, se disait-el<strong>le</strong> : Takuan n’avait jamais été amoureux.<br />

Impossib<strong>le</strong> à quelqu’un qui n’avait jamais été amoureux de<br />

comprendre ce qu’el<strong>le</strong> éprouvait. Pour el<strong>le</strong>, tenter de lui<br />

expliquer ses sentiments, c’était comme pour lui d’essayer<br />

d’expliquer <strong>le</strong> bouddhisme Zen à un idiot. Or, tout comme il y<br />

avait de la vérité dans <strong>le</strong> Zen, qu’un idiot pût <strong>le</strong> comprendre ou<br />

non, il y avait des gens qui mouraient d’amour, que Takuan pût<br />

ou non <strong>le</strong> comprendre. Aux yeux d’une femme, du moins, il<br />

s’agissait d’une affaire bien plus sérieuse que <strong>le</strong>s agaçantes<br />

énigmes d’un prêtre Zen. Quand on était gouvernée par un<br />

amour qui représentait une question de vie ou de mort, quel<strong>le</strong><br />

importance avait <strong>le</strong> bruit que faisait « <strong>le</strong> claquement d’une seu<strong>le</strong><br />

main » ? Otsū se mordit <strong>le</strong>s lèvres, <strong>et</strong> se jura de n’en pas dire<br />

davantage.<br />

Takuan redevint sérieux :<br />

— ... Tu aurais dû naître homme, Otsū. Un homme doué<br />

d’une volonté comme la tienne accomplirait sûrement quelque<br />

chose d’uti<strong>le</strong> au pays.<br />

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