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La pierre et le sabre - Eiji Yoshikawa

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A mi-pente, Otsū s’arrêta pour <strong>le</strong> contemp<strong>le</strong>r, horrifiée.<br />

Debout sur l’autre rive, Jōtarō était, lui aussi, cloué au sol.<br />

— Sensei ! criait-il.<br />

— Musashi !<br />

Leurs clameurs n’atteignirent jamais <strong>le</strong>s oreil<strong>le</strong>s du jeune<br />

homme. C’était comme si mil<strong>le</strong> dragons d’argent lui mordaient<br />

la tête <strong>et</strong> <strong>le</strong>s épau<strong>le</strong>s, comme si <strong>le</strong>s yeux de mil<strong>le</strong> démons<br />

aquatiques explosaient autour de lui. Des tourbillons p<strong>le</strong>ins de<br />

traîtrise <strong>le</strong> tiraient par <strong>le</strong>s jambes, tout prêts à l’entraîner dans<br />

la mort. Une seu<strong>le</strong> faute de rythme respiratoire ou cardiaque, <strong>et</strong><br />

ses talons eussent perdu <strong>le</strong>ur prise fragi<strong>le</strong> sur <strong>le</strong> fond couvert<br />

d’algues, son corps eût été balayé par un courant vio<strong>le</strong>nt <strong>et</strong> sans<br />

r<strong>et</strong>our. Il lui semblait que ses poumons <strong>et</strong> son cœur croulaient<br />

sous <strong>le</strong> poids incalculab<strong>le</strong> – la masse tota<strong>le</strong> des montagnes de<br />

Magome – qui tombait sur lui.<br />

Son désir pour Otsū mourait de mort <strong>le</strong>nte, car il était<br />

proche parent du tempérament passionné sans <strong>le</strong>quel il ne fût<br />

jamais allé à Sekigahara ni n’eût accompli aucun de ses<br />

extraordinaires exploits. Mais <strong>le</strong> véritab<strong>le</strong> danger se trouvait<br />

dans <strong>le</strong> fait qu’en un certain point toutes ses années<br />

d’entraînement devenaient sans pouvoir contre ce<br />

tempérament, <strong>et</strong> qu’il r<strong>et</strong>ombait au niveau d’une bête sauvage,<br />

d’une bête brute. Or, contre un pareil ennemi, informe <strong>et</strong> secr<strong>et</strong>,<br />

<strong>le</strong> <strong>sabre</strong> était complètement inuti<strong>le</strong>. Déconcerté, perp<strong>le</strong>xe,<br />

conscient d’avoir subi une accablante défaite, il priait pour que<br />

<strong>le</strong>s eaux furieuses <strong>le</strong> ramenassent à sa quête de discipline.<br />

— Sensei ! Sensei !<br />

Les cris de Jōtarō étaient devenus plainte sanglotante.<br />

— ... Il ne faut pas mourir ! Je vous en prie, ne mourez pas !<br />

Lui aussi avait joint <strong>le</strong>s mains devant sa poitrine, <strong>et</strong> sa face<br />

était convulsée comme si lui aussi portait <strong>le</strong> poids de l’eau, la<br />

dou<strong>le</strong>ur cuisante, <strong>le</strong> froid.<br />

Jōtarō j<strong>et</strong>a un coup d’œil sur l’autre rive, <strong>et</strong> se sentit soudain<br />

défaillir. Il ne comprenait absolument pas ce que faisait<br />

Musashi ; il semblait décidé à rester sous <strong>le</strong> torrent jusqu’à en<br />

mourir, mais voici qu’Otsū... Où donc était-el<strong>le</strong> ? Il était sûr<br />

qu’el<strong>le</strong> s’était j<strong>et</strong>ée dans la rivière pour mourir.<br />

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