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La pierre et le sabre - Eiji Yoshikawa

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« Pourquoi, se demandait Otsū comme el<strong>le</strong> se l’était déjà<br />

demandé à d’innombrab<strong>le</strong>s reprises, pourquoi <strong>le</strong>s hommes<br />

courent-ils à la guerre ? » El<strong>le</strong> en était arrivée à trouver un<br />

plaisir mélancolique à s’asseoir seu<strong>le</strong> sur <strong>le</strong> portique du temp<strong>le</strong>,<br />

à tâcher de comprendre ce phénomène incompréhensib<strong>le</strong>.<br />

Perdue dans sa rêverie désenchantée, el<strong>le</strong> aurait pu s’attarder là<br />

des heures. Soudain, une voix masculine, qui appelait :<br />

« Otsū ! », viola son îlot de paix.<br />

Levant <strong>le</strong>s yeux. Otsū vit un homme assez jeune qui venait<br />

du puits vers el<strong>le</strong>. Il portait un simp<strong>le</strong> pagne, <strong>et</strong> sa peau hâlée<br />

rayonnait comme l’or mat d’une vieil<strong>le</strong> statue bouddhiste. Il<br />

s’agissait du moine Zen qui, trois ou quatre ans plus tôt, était<br />

arrivé de la province de Tajima. Depuis lors, il n’avait plus<br />

quitté <strong>le</strong> temp<strong>le</strong>.<br />

« Enfin <strong>le</strong> printemps, se disait-il avec satisfaction. Le<br />

printemps... une bénédiction, mais qui n’est pas sans mélange.<br />

Dès que <strong>le</strong> temps se réchauffe un peu, ces poux insidieux<br />

envahissent <strong>le</strong> pays. Ils essaient de <strong>le</strong> dominer, tout comme<br />

Fujiwara no Michinaga, ce rusé coquin de régent. » Après une<br />

pause, il reprit son monologue :<br />

— Je viens de laver mes vêtements, mais où diab<strong>le</strong> vais-je<br />

faire sécher c<strong>et</strong>te vieil<strong>le</strong> robe en lambeaux ? Je ne puis la<br />

suspendre au prunier. Cela serait un sacrilège, une insulte à la<br />

nature, que de couvrir ces f<strong>le</strong>urs. Moi, un homme si fin, je suis<br />

incapab<strong>le</strong> de trouver un endroit où suspendre c<strong>et</strong>te robe ! Otsū !<br />

Prête-moi une corde à linge.<br />

Rougissant à la vue du moine si peu vêtu, el<strong>le</strong> s’écria :<br />

— Takuan ! Tu ne peux te promener à moitié nu jusqu’à ce<br />

que tes vêtements soient secs !<br />

— Alors, je vais me coucher. Ça te va ?<br />

— Oh ! tu es impossib<strong>le</strong> !<br />

Levant un bras vers <strong>le</strong> ciel <strong>et</strong> abaissant l’autre vers <strong>le</strong> sol, il<br />

prit la pose des minuscu<strong>le</strong>s statues de Bouddha que <strong>le</strong>s fidè<strong>le</strong>s<br />

oignaient une fois l’an d’un thé spécial.<br />

— En réalité, j’aurais mieux fait d’attendre à demain. Etant<br />

donné que nous sommes <strong>le</strong> huit, l’anniversaire de naissance du<br />

Bouddha, j’aurais pu me borner à me tenir comme ça <strong>et</strong> à laisser<br />

<strong>le</strong>s gens s’incliner devant moi. Quand ils m’auraient versé<br />

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