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La pierre et le sabre - Eiji Yoshikawa

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visage s’était déjà évanoui comme un poisson disparaît dans la<br />

mer. Oublieuse de tout ce qui l’entourait, el<strong>le</strong> s’élança vers la<br />

porte du temp<strong>le</strong> en criant :<br />

— Takezō ! Takezō !<br />

Le courroux de la douairière<br />

<strong>La</strong> famil<strong>le</strong> de Matahachi, <strong>le</strong>s Hon’iden, étaient <strong>le</strong>s fiers<br />

membres d’un groupe de nob<strong>le</strong>s ruraux qui appartenaient à la<br />

classe des samouraïs mais travaillaient aussi la terre. Le<br />

véritab<strong>le</strong> chef de la famil<strong>le</strong> était sa mère, une femme d’un<br />

incorrigib<strong>le</strong> entêtement nommée Osugi. Bien qu’el<strong>le</strong> approchât<br />

de la soixantaine, el<strong>le</strong> menait chaque jour aux champs sa famil<strong>le</strong><br />

<strong>et</strong> son personnel, <strong>et</strong> travaillait aussi dur que n’importe <strong>le</strong>quel<br />

d’entre eux. A l’époque des plantations, el<strong>le</strong> sarclait <strong>le</strong>s champs,<br />

<strong>et</strong>, après la moisson, battait l’orge en la foulant aux pieds.<br />

Quand <strong>le</strong> crépuscu<strong>le</strong> la forçait à cesser de travail<strong>le</strong>r, el<strong>le</strong> trouvait<br />

toujours quelque chose à j<strong>et</strong>er sur son dos courbé, <strong>et</strong> à rapporter<br />

à la maison. Souvent, c’était une charge de feuil<strong>le</strong>s de mûrier si<br />

grosse que son corps, presque plié en deux, était à peine visib<strong>le</strong><br />

dessous. Le soir, on la trouvait d’ordinaire occupée à soigner ses<br />

vers à soie.<br />

L’après-midi de la fête des f<strong>le</strong>urs, Osugi <strong>le</strong>va <strong>le</strong>s yeux de son<br />

ouvrage dans <strong>le</strong> plan de mûriers pour voir son p<strong>et</strong>it-fils accourir<br />

pieds nus à travers champ.<br />

— D’où viens-tu, Heita ? demanda-t-el<strong>le</strong> sans douceur. Du<br />

temp<strong>le</strong> ?<br />

— Ouh-houh.<br />

— Otsū y était-el<strong>le</strong> ?<br />

— Oui, répondit-il, tout excité, encore hors d’ha<strong>le</strong>ine. Et el<strong>le</strong><br />

portait une très jolie obi. El<strong>le</strong> aidait pour la fête.<br />

— As-tu rapporté du thé doux <strong>et</strong> un charme pour éloigner<br />

<strong>le</strong>s insectes ?<br />

— Ounh-ounh.<br />

Les yeux de la vieil<strong>le</strong> femme, généra<strong>le</strong>ment cachés parmi <strong>le</strong>s<br />

plis <strong>et</strong> <strong>le</strong>s rides, s’ouvrirent tout grands d’irritation.<br />

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