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La pierre et le sabre - Eiji Yoshikawa

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— Alors, punis-<strong>le</strong> ! Tue-<strong>le</strong> ! Maintenant. C’est mal de ta part<br />

de te moquer de sa détresse alors que là-haut, il est à moitié<br />

mort.<br />

— Il se trouve que c’est ma seu<strong>le</strong> faib<strong>le</strong>sse, que de me<br />

moquer des fous de son espèce.<br />

— C’est inhumain !<br />

— Et maintenant, va-t’en ! Va-t’en, Otsū ; fiche-moi la paix.<br />

— Non !<br />

— Ne sois pas aussi entêtée ! cria Takuan en la repoussant<br />

d’un vio<strong>le</strong>nt coup de coude.<br />

El<strong>le</strong> se r<strong>et</strong>rouva effondrée contre l’arbre. El<strong>le</strong> pressa son<br />

visage <strong>et</strong> sa poitrine contre <strong>le</strong> tronc, <strong>et</strong> se mit à gémir. El<strong>le</strong><br />

n’avait jamais imaginé que Takuan pût être aussi cruel. Les gens<br />

du village croyaient que même si <strong>le</strong> moine faisait ligoter durant<br />

quelque temps Takezō, il finirait par se radoucir <strong>et</strong> par alléger <strong>le</strong><br />

châtiment. Or, Takuan venait de reconnaître qu’il avait la<br />

« faib<strong>le</strong>sse » d’aimer voir souffrir Takezō ! Otsū frissonna<br />

devant la sauvagerie humaine.<br />

Si Takuan lui-même, en qui el<strong>le</strong> avait eu si profondément<br />

confiance, pouvait se montrer sans cœur, alors <strong>le</strong> monde entier<br />

ne pouvait manquer d’être mauvais au-delà de toute<br />

imagination. Et s’il n’y avait personne au monde à qui se fier...<br />

El<strong>le</strong> trouvait à c<strong>et</strong> arbre une étrange cha<strong>le</strong>ur, comme si à<br />

travers son grand tronc ancien, si épais que dix hommes n’en<br />

auraient pu faire <strong>le</strong> tour avec <strong>le</strong>urs bras étendus, courait <strong>le</strong> sang<br />

de Takezō qui l’irriguait depuis sa précaire prison des hautes<br />

branches.<br />

Qu’il était bien fils de samouraï ! Quel courage ! <strong>La</strong> première<br />

fois que Takuan l’avait ligoté, <strong>et</strong> de nouveau à l’instant même,<br />

el<strong>le</strong> avait vu <strong>le</strong> côté <strong>le</strong> plus faib<strong>le</strong> de Takezō. Lui aussi était<br />

capab<strong>le</strong> de p<strong>le</strong>urer. Jusqu’alors, el<strong>le</strong> avait partagé l’opinion de la<br />

fou<strong>le</strong>, été influencée par el<strong>le</strong>, sans avoir sur l’homme lui-même<br />

aucune idée authentique. Qu’y avait-il donc en lui qui poussait<br />

<strong>le</strong>s gens à <strong>le</strong> haïr ainsi qu’un démon <strong>et</strong> à <strong>le</strong> traquer comme un<br />

fauve ?<br />

Les sanglots lui secouaient <strong>le</strong> dos <strong>et</strong> <strong>le</strong>s épau<strong>le</strong>s. Etroitement<br />

agrippée au tronc de l’arbre, el<strong>le</strong> frottait ses joues barbouillées<br />

de larmes contre l’écorce. Le vent sifflait avec vio<strong>le</strong>nce à travers<br />

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