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La pierre et le sabre - Eiji Yoshikawa

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« Encore un p<strong>et</strong>it effort. » Si faci<strong>le</strong> à dire, mais si diffici<strong>le</strong> à<br />

faire ! Car « encore un p<strong>et</strong>it effort » est ce qui distingue <strong>le</strong> <strong>sabre</strong><br />

victorieux du <strong>sabre</strong> vaincu.<br />

L’odeur de sueur dans <strong>le</strong>s narines, étourdi, il avait<br />

l’impression d’être blotti contre la poitrine de sa mère. <strong>La</strong><br />

rugueuse surface de la montagne se mit à ressemb<strong>le</strong>r à la peau<br />

de sa mère, <strong>et</strong> il éprouva un vio<strong>le</strong>nt désir de dormir. Mais à c<strong>et</strong><br />

instant précis, un morceau de roc céda sous son gros orteil <strong>et</strong> <strong>le</strong><br />

ramena à la raison. Il chercha du pied un autre point d’appui.<br />

« Ça y est ! J’y suis presque ! » Les mains <strong>et</strong> <strong>le</strong>s pieds noués<br />

par la souffrance, il s’agrippa de nouveau à la montagne. Si son<br />

corps ou sa volonté faiblissaient, se disait-il, un jour, en tant<br />

qu’homme d’épée, c’en serait sûrement fait de lui. C’était ici que<br />

se jouait <strong>le</strong> sort des armes, <strong>et</strong> Musashi <strong>le</strong> savait.<br />

« Voilà pour toi, Sekishūsai ! Espèce de salaud ! » A chaque<br />

traction, il exécrait <strong>le</strong>s géants qu’il respectait, ces surhommes<br />

qui l’avaient amené là, qu’il devait vaincre <strong>et</strong> qu’il vaincrait.<br />

« Autant pour toi, Nikkan ! Et pour toi, Takuan ! »<br />

Il grimpait sur la tête de ses ido<strong>le</strong>s, <strong>le</strong>s piétinait, <strong>le</strong>ur<br />

montrait <strong>le</strong>quel était <strong>le</strong> meil<strong>le</strong>ur. Lui <strong>et</strong> la montagne ne faisaient<br />

maintenant plus qu’un, mais la montagne, comme étonnée par<br />

c<strong>et</strong> être qui s’agrippait à el<strong>le</strong>, grondait <strong>et</strong> crachait à interval<strong>le</strong>s<br />

réguliers des avalanches de sab<strong>le</strong> <strong>et</strong> de gravier. Musashi cessait<br />

de respirer comme si quelqu’un l’avait giflé. Tandis qu’il<br />

s’accrochait au roc, <strong>le</strong> vent soufflait en rafa<strong>le</strong>s, menaçant de<br />

l’emporter avec la roche.<br />

Puis soudain il se r<strong>et</strong>rouva couché à plat ventre, <strong>le</strong>s yeux<br />

clos, sans oser faire un mouvement. Mais dans son cœur il<br />

chantait un chant d’exultation. A l’instant où il s’était allongé, il<br />

avait vu <strong>le</strong> ciel dans toutes <strong>le</strong>s directions, <strong>et</strong> brusquement la<br />

lumière de l’aube apparut sur l’océan blanc des nuages, audessous<br />

de lui.<br />

« J’ai réussi ! J’ai gagné ! »<br />

Dès qu’il se rendit compte qu’il avait atteint la cime, sa<br />

volonté tendue se rompit comme la corde d’un arc. Le vent du<br />

somm<strong>et</strong> lui douchait <strong>le</strong> dos de sab<strong>le</strong> <strong>et</strong> de <strong>pierre</strong>s. Là, à la<br />

frontière entre ciel <strong>et</strong> terre, Musashi sentait jaillir dans tout son<br />

être une joie indescriptib<strong>le</strong>. Son corps trempé de sueur<br />

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