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La pierre et le sabre - Eiji Yoshikawa

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— Inuti<strong>le</strong> de marcher aussi vite, dit-il à voix haute en<br />

ra<strong>le</strong>ntissant <strong>le</strong> pas. Je suppose que c<strong>et</strong>te nuit sera la dernière<br />

que je passerai dans <strong>le</strong> monde des vivants.<br />

Ce n’était là ni une exclamation ni une plainte, seu<strong>le</strong>ment<br />

une involontaire constatation.<br />

Il avait passé la journée précédente à méditer sous un pin<br />

au temp<strong>le</strong> de Kuruma dans l’espoir de réaliser c<strong>et</strong> état de<br />

béatitude où <strong>le</strong> corps <strong>et</strong> l’âme n’ont plus d’importance. Son<br />

effort pour chasser l’idée de la mort ayant été vain, il était<br />

maintenant honteux d’avoir perdu son temps.<br />

L’air nocturne <strong>le</strong> vivifiait. Le saké, juste la bonne dose, un<br />

sommeil bref, mais profond, la tonifiante eau du puits, <strong>le</strong>s<br />

vêtements neufs : il n’avait pas <strong>le</strong> sentiment d’être un homme<br />

qui va mourir. Il évoquait la nuit, au cœur de l’hiver, où il s’était<br />

forcé à grimper au somm<strong>et</strong> du Mont de l’Aig<strong>le</strong>. Là aussi, <strong>le</strong>s<br />

étoi<strong>le</strong>s étaient éblouissantes, <strong>et</strong> <strong>le</strong>s arbres festonnés de p<strong>et</strong>its<br />

glaçons. Maintenant, <strong>le</strong>s glaçons cédaient la place à des f<strong>le</strong>urs<br />

en boutons.<br />

<strong>La</strong> tête p<strong>le</strong>ine de pensées en désordre, Musashi se trouvait<br />

dans l’impossibilité de se concentrer sur <strong>le</strong> problème vital qui se<br />

posait à lui. A quoi bon débattre de questions qu’un sièc<strong>le</strong> de<br />

réf<strong>le</strong>xion ne résoudrait pas : <strong>le</strong> sens de la mort, l’agonie, la vie<br />

qui suivrait ?<br />

Des nob<strong>le</strong>s <strong>et</strong> <strong>le</strong>ur suite habitaient <strong>le</strong> quartier où il se<br />

trouvait. Il entendit <strong>le</strong> son plaintif d’un flageol<strong>et</strong>, accompagné<br />

par <strong>le</strong>s <strong>le</strong>nts accents d’une flûte de Pan. Il imagina la veillée<br />

funèbre autour du cercueil.<br />

Il s’aperçut qu’il avait dépassé <strong>le</strong> Shōkokuji, <strong>et</strong> n’était<br />

maintenant qu’à une centaine de mètres du cours argenté de la<br />

rivière Kamo. Dans la clarté reflétée par un mur de terre, il<br />

distingua une sombre silhou<strong>et</strong>te immobi<strong>le</strong>. L’homme s’avança<br />

vers lui, suivi d’une ombre plus p<strong>et</strong>ite : un chien en laisse. <strong>La</strong><br />

présence de l’animal <strong>le</strong> rassura : l’homme n’était pas l’un de ses<br />

ennemis ; il se détendit <strong>et</strong> continua sa route. L’autre fit quelques<br />

pas, se tourna vers lui <strong>et</strong> dit :<br />

— Puis-je vous demander un renseignement, monsieur ?<br />

— A moi ?<br />

— Oui, si ça ne vous ennuie pas.<br />

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