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La pierre et le sabre - Eiji Yoshikawa

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Les aiguil<strong>le</strong>s avaient manqué sa pupil<strong>le</strong>, mais son œil<br />

larmoyait. Cependant qu’il tâtait ses vêtements, y cherchant de<br />

quoi l’essuyer, il entendit un bruit de tissu que l’on déchirait. Il<br />

se r<strong>et</strong>ourna, <strong>et</strong> vit une jeune fil<strong>le</strong> en train d’arracher à la manche<br />

de son sous-vêtement un pied environ d’étoffe rouge.<br />

Akemi accourut vers lui. El<strong>le</strong> n’était pas coiffée pour la fête<br />

du Nouvel An, <strong>et</strong> portait un kimono dépenaillé. El<strong>le</strong> avait des<br />

sanda<strong>le</strong>s, mais pas de bas. Musashi la regardait furtivement, en<br />

bredouillant ; il croyait la connaître, mais sans pouvoir m<strong>et</strong>tre<br />

un nom sur son visage.<br />

— C’est moi, Takezō... je veux dire Musashi, fit-el<strong>le</strong> avec<br />

hésitation en lui tendant <strong>le</strong> tissu rouge. Tu t’es mis quelque<br />

chose dans l’œil ? Il ne faut pas <strong>le</strong> frotter. Ça ne ferait<br />

qu’empirer <strong>le</strong>s choses. Tiens, prends ça.<br />

Musashi accepta en si<strong>le</strong>nce, <strong>et</strong> se couvrit l’œil avec <strong>le</strong> tissu.<br />

Puis il regarda fixement la jeune fil<strong>le</strong>.<br />

— ... Tu ne te souviens pas de moi ? dit-el<strong>le</strong>, incrédu<strong>le</strong>. Mais<br />

c’est impossib<strong>le</strong> !<br />

Le visage de Musashi n’exprimait absolument rien.<br />

— ... C’est impossib<strong>le</strong> !<br />

Le si<strong>le</strong>nce du jeune homme rompit la digue qui r<strong>et</strong>enait <strong>le</strong>s<br />

émotions longtemps contenues d’Akemi. Son esprit, tel<strong>le</strong>ment<br />

habitué au malheur <strong>et</strong> à la cruauté, s’était accroché à c<strong>et</strong> unique<br />

<strong>et</strong> dernier espoir ; or, voici qu’el<strong>le</strong> commençait à comprendre<br />

qu’il ne s’agissait là que d’un fantasme. Une bou<strong>le</strong> dure se forma<br />

dans sa poitrine, <strong>et</strong> el<strong>le</strong> étouffa un gémissement. El<strong>le</strong> avait beau<br />

se couvrir la bouche <strong>et</strong> <strong>le</strong> nez pour dissimu<strong>le</strong>r ses sanglots, el<strong>le</strong><br />

ne pouvait empêcher ses épau<strong>le</strong>s de tremb<strong>le</strong>r.<br />

Quelque chose, dans son aspect lorsqu’el<strong>le</strong> p<strong>le</strong>urait,<br />

évoquait l’innocence juvéni<strong>le</strong> de l’époque d’Ibuki, alors qu’el<strong>le</strong><br />

portait dans son obi la tintinnabulante cloch<strong>et</strong>te. Musashi<br />

entoura de ses bras <strong>le</strong>s minces <strong>et</strong> frê<strong>le</strong>s épau<strong>le</strong>s de la jeune fil<strong>le</strong>.<br />

— Tu es Akemi, bien sûr. Je me souviens. Par quel hasard<br />

es-tu ici ? Quel<strong>le</strong> surprise de te voir ! Tu ne vis donc plus à<br />

Ibuki ? Que devient ta mère ?<br />

Ses questions la b<strong>le</strong>ssaient, la pire était la mention d’Okō,<br />

qui amena tout naturel<strong>le</strong>ment au vieil ami de Musashi :<br />

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