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La pierre et le sabre - Eiji Yoshikawa

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mon âge, j’aurais dû faire plus attention que jamais. Le<br />

contraire est folie, dès qu’il s’agit des femmes.<br />

Tenant debout devant lui son shakuhachi, <strong>le</strong>s deux mains<br />

posées sur l’embouchure, il continua :<br />

— ... Quand c<strong>et</strong>te histoire avec Otsū s’est produite, personne<br />

n’a plus voulu me pardonner. Il est trop tard, trop tard.<br />

Matahachi s’était glissé dans la pièce voisine. Il écoutait,<br />

mais ce qu’il voyait lui inspirait de la répulsion. Le prêtre avait<br />

<strong>le</strong>s joues creuses, ses épau<strong>le</strong>s saillantes évoquaient <strong>le</strong> chien<br />

errant, <strong>et</strong> sa chevelure était terne. Matahachi était tapi en<br />

si<strong>le</strong>nce ; à la lueur clignotante du feu, la silhou<strong>et</strong>te de l’homme<br />

évoquait des visions de démons nocturnes.<br />

— ... Oh ! que faire ? gémissait <strong>le</strong> prêtre en <strong>le</strong>vant au plafond<br />

ses yeux caves.<br />

Il portait un kimono ordinaire <strong>et</strong> miteux mais éga<strong>le</strong>ment<br />

une soutane noire, indice qu’il était discip<strong>le</strong> du maître du Zen<br />

chinois P’u-hua. <strong>La</strong> natte de roseaux sur laquel<strong>le</strong> il se trouvait<br />

assis, qu’il roulait <strong>et</strong> transportait avec lui partout où il allait,<br />

devait constituer son seul bien ménager : son lit, son rideau <strong>et</strong><br />

par mauvais temps son toit.<br />

— ... Par<strong>le</strong>r ne me rendra pas ce que j’ai perdu, disait-il. Que<br />

n’ai-je été plus prudent ! Je croyais comprendre la vie. Je ne<br />

comprenais rien ; ma position m’enivrait ! Je me suis<br />

honteusement conduit envers une femme. Pas étonnant que <strong>le</strong>s<br />

dieux m’aient abandonné. Que pourrait-il y avoir de plus<br />

humiliant ?<br />

Le prêtre baissa la tête comme s’il présentait des excuses à<br />

quelqu’un, puis la baissa davantage encore.<br />

— ... Je ne me soucie pas de moi-même. <strong>La</strong> vie que j’ai<br />

maintenant est assez bonne pour moi. Il n’est que juste que je<br />

fasse pénitence, <strong>et</strong> doive survivre sans aide extérieure... Mais<br />

qu’ai-je fait à Jōtarō ? Il souffrira plus que moi de mon<br />

inconduite. Si j’étais encore au service du seigneur Ikeda, il<br />

serait aujourd’hui <strong>le</strong> fils unique d’un samouraï ayant cinq mil<strong>le</strong><br />

boisseaux de revenu ; mais à cause de ma stupidité, il n’est rien.<br />

Pire : un jour, quand il sera grand, il apprendra la vérité.<br />

Il resta un moment assis <strong>le</strong>s mains sur la figure, puis se <strong>le</strong>va<br />

soudain.<br />

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