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La pierre et le sabre - Eiji Yoshikawa

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sans un seul arbre derrière <strong>le</strong>quel se cacher ; par une journée<br />

sans nuages comme cel<strong>le</strong>-ci, l’on aurait eu peine à trouver<br />

meil<strong>le</strong>ure cib<strong>le</strong>.<br />

Les circonstances nécessitaient donc une attaque nocturne,<br />

mais Takezō avait observé que l’on fermait <strong>et</strong> verrouillait <strong>le</strong>s<br />

portes avant <strong>le</strong> coucher du so<strong>le</strong>il. Toute tentative de <strong>le</strong>s<br />

croch<strong>et</strong>er ne manquerait pas de déc<strong>le</strong>ncher un signal d’alarme<br />

cacophonique de claqu<strong>et</strong>s de bois. Il ne semblait pas y avoir de<br />

moyen infaillib<strong>le</strong> d’aborder la forteresse.<br />

« Impossib<strong>le</strong>, se disait tristement Takezō. Même si je<br />

risquais ma vie <strong>et</strong> la sienne, ça ne donnerait rien. » Il se sentait<br />

humilié, impuissant. « Comment, se demandait-il, en suis-je<br />

arrivé à être aussi lâche ? <strong>La</strong> semaine dernière, je n’aurais même<br />

pas songé aux chances de m’en tirer vivant. »<br />

Durant une demi-journée encore, ses bras demeurèrent<br />

croisés sur sa poitrine, comme noués. Il redoutait quelque chose<br />

qu’il ne pouvait définir, <strong>et</strong> hésitait à se rapprocher tant soit peu<br />

de la palanque. Il ne cessait de s’adresser des reproches : « J’ai<br />

perdu mon audace. Jamais je n’ai été comme ça jusqu’ici. Peutêtre<br />

que <strong>le</strong> fait de regarder la mort en face rend tout <strong>le</strong> monde<br />

lâche. »<br />

Il secoua la tête. Non, ce n’était pas cela, pas de la lâch<strong>et</strong>é.<br />

Il avait tout simp<strong>le</strong>ment appris sa <strong>le</strong>çon, cel<strong>le</strong> que Takuan<br />

s’était donné tant de peine à lui enseigner, <strong>et</strong> pouvait<br />

maintenant voir <strong>le</strong>s choses de façon plus n<strong>et</strong>te. Il éprouva un<br />

calme nouveau, un sentiment de paix. Cela semblait cou<strong>le</strong>r dans<br />

sa poitrine à la façon d’une rivière tranquil<strong>le</strong>. Etre brave était<br />

tout différent d’être féroce ; il <strong>le</strong> constatait maintenant. Il ne se<br />

sentait pas un animal, mais un homme, un homme courageux<br />

qui a dépassé <strong>le</strong>s agitations de l’ado<strong>le</strong>scence. <strong>La</strong> vie qui lui avait<br />

été donnée était un trésor qu’il fallait chérir, polir <strong>et</strong><br />

perfectionner.<br />

Il regardait fixement <strong>le</strong> joli ciel clair, dont la seu<strong>le</strong> cou<strong>le</strong>ur<br />

paraissait un mirac<strong>le</strong>. Pourtant, il ne pouvait abandonner sa<br />

sœur, même si cela revenait à vio<strong>le</strong>r, une dernière fois, la<br />

précieuse connaissance de soi qu’il avait si récemment <strong>et</strong> si<br />

pénib<strong>le</strong>ment acquise.<br />

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