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La pierre et le sabre - Eiji Yoshikawa

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effroyab<strong>le</strong>ment fiers de <strong>le</strong>ur rang mais cela ne tirait pas à<br />

conséquence : ils n’avaient pas d’argent. En <strong>le</strong>ur distribuant<br />

assez d’or pour <strong>le</strong>s satisfaire, en prenant part à <strong>le</strong>urs élégants<br />

passe-temps, en affichant de la déférence envers <strong>le</strong>ur rang, en<br />

flattant <strong>le</strong>ur amour-propre on <strong>le</strong>s pouvait manipu<strong>le</strong>r comme des<br />

marionn<strong>et</strong>tes. Nul ne s’y entendait mieux que Shōyū.<br />

<strong>La</strong> lumière dansait gaiement sur <strong>le</strong> shoji de l’antichambre<br />

du salon du seigneur Karasumaru tandis que Shōyū tâtonnait<br />

pour l’ouvrir. Brusquement, on ouvrit la porte de l’intérieur.<br />

— Comment, Shōyū, c’est vous ! s’exclama Takuan Sōhō.<br />

Shōyū écarquilla <strong>le</strong>s yeux, d’étonnement d’abord, puis de<br />

joie.<br />

— Bon prêtre, bredouilla-t-il, quel<strong>le</strong> agréab<strong>le</strong> surprise ! Vous<br />

étiez là tout <strong>le</strong> temps ?<br />

— Et vous, mon bon monsieur, vous étiez là tout <strong>le</strong> temps ?<br />

répliqua Takuan en <strong>le</strong> contrefaisant.<br />

Il entoura de son bras <strong>le</strong> cou de Shōyū, <strong>et</strong> tous deux<br />

s’étreignirent en ivrognes, comme des amoureux, barbe contre<br />

barbe.<br />

— Ça va, vieux chenapan ?<br />

— Oui, vieil<strong>le</strong> fripouil<strong>le</strong>. Et toi ?<br />

— J’avais grande envie de te voir.<br />

— Moi aussi.<br />

Les deux hommes n’attendirent pas la fin de ces salutations<br />

attendries pour s’entre-tapoter la tête <strong>et</strong> s’entre-lécher <strong>le</strong> nez.<br />

Le seigneur Karasumaru détourna son attention de<br />

l’antichambre pour s’adresser, avec un sourire sardonique, au<br />

seigneur Konoe Nobutada, assis en face de lui :<br />

— Ha ! ha ! ha ! Je m’y attendais : voici l’homme qui fait du<br />

bruit.<br />

Karasumaru Mitsuhiro était jeune encore, trente ans peutêtre.<br />

Même s’il n’avait pas été vêtu de manière impeccab<strong>le</strong>, il<br />

aurait eu l’air aristocratique : il était beau, <strong>le</strong> teint clair, <strong>le</strong>s<br />

sourcils épais, <strong>le</strong>s lèvres cramoisies, <strong>le</strong>s yeux intelligents. Bien<br />

qu’il donnât l’impression d’être un homme très doux, sous la<br />

surface polie se cachait un fort tempérament alimenté par du<br />

ressentiment accumulé contre la classe militaire. Souvent, on<br />

l’avait entendu dire : « A notre époque où <strong>le</strong>s guerriers seuls<br />

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