14.12.2018 Views

La pierre et le sabre - Eiji Yoshikawa

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

Les mots proprement dits n’auraient pas de véritab<strong>le</strong><br />

importance. L’important était que Musashi avait <strong>le</strong> curieux<br />

sentiment que <strong>le</strong> fait d’assener à Takuan sa supériorité<br />

personnel<strong>le</strong> était quelque chose qu’il devait au moine. Fantasme<br />

assez innocent ; Musashi s’était engagé sur une Voie<br />

personnel<strong>le</strong>, <strong>et</strong> découvrait jour après jour l’infinie longueur <strong>et</strong><br />

difficulté du chemin qui mène à la véritab<strong>le</strong> humanité. Quand <strong>le</strong><br />

côté pratique de sa nature lui rappelait à quel point Takuan était<br />

plus avancé que lui sur ce chemin, <strong>le</strong> fantasme se dissipait.<br />

Son immaturité, son inaptitude en comparaison de<br />

Sekishūsai <strong>le</strong> troublaient davantage encore. Penser au vieux<br />

maître de Yagyū <strong>le</strong> m<strong>et</strong>tait en fureur <strong>et</strong> l’attristait : il prenait<br />

alors une conscience aiguë de sa propre incompétence à par<strong>le</strong>r<br />

avec la moindre assurance de la Voie, de l’Art de la guerre ou de<br />

quoi que ce soit d’autre.<br />

En des moments pareils, <strong>le</strong> monde, qu’autrefois il avait cru<br />

si p<strong>le</strong>in de gens stupides, semblait vaste à faire peur. Mais la vie,<br />

se disait Musashi, n’est pas une question de logique. Le <strong>sabre</strong><br />

n’est pas logique. L’important n’était ni la paro<strong>le</strong> ni la<br />

spéculation, mais l’action. Peut-être y avait-il en c<strong>et</strong> instant<br />

précis des gens bien plus grands que lui, mais lui aussi pouvait<br />

être grand !<br />

Quand <strong>le</strong> doute de soi menaçait de l’accab<strong>le</strong>r, Musashi avait<br />

coutume d’al<strong>le</strong>r droit aux montagnes, dans la solitude<br />

desquel<strong>le</strong>s il pouvait mener la vie qu’il voulait. Son mode<br />

d’existence là-haut était visib<strong>le</strong> dans son aspect lorsqu’il<br />

redescendait vers <strong>le</strong> monde civilisé : ses joues creuses de cerf,<br />

son corps ouvert d’égratignures <strong>et</strong> de meurtrissures, ses cheveux<br />

desséchés <strong>et</strong> raidis par <strong>le</strong>s longues heures passées sous une<br />

chute d’eau glacée. Il était si sa<strong>le</strong> d’avoir dormi par terre que la<br />

blancheur de ses dents paraissait inhumaine ; mais il ne<br />

s’agissait là que d’aspects superficiels. Au fond de lui-même, il<br />

brûlait d’une assurance confinant à l’arrogance, <strong>et</strong> du désir<br />

d’affronter un adversaire digne de lui. C’était c<strong>et</strong>te recherche<br />

d’une épreuve de courage qui toujours <strong>le</strong> faisait redescendre des<br />

montagnes.<br />

Si maintenant il courait <strong>le</strong>s routes, c’est qu’il se demandait<br />

si <strong>le</strong> spécialiste de la masse d’armes de Kuwana ferait l’affaire.<br />

461

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!