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La pierre et le sabre - Eiji Yoshikawa

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J’appris qu’une personne de ma connaissance vivait à Fushimi ;<br />

j’allai lui rendre visite, mais <strong>le</strong> jardin était si envahi de mauvaises<br />

herbes ! Je ne pouvais même pas distinguer l’allée.<br />

Au chant des insectes, je composai ce poème :<br />

En traversant <strong>le</strong>s mauvaises herbes,<br />

Je cache mes larmes<br />

Aux plis de ma manche.<br />

Dans ce jardin p<strong>le</strong>in de rosée,<br />

P<strong>le</strong>urent jusqu’aux humb<strong>le</strong>s insectes.<br />

Le cœur glacé, Matahachi se blottit près de la maison en<br />

murmurant <strong>le</strong>s mots si longtemps oubliés.<br />

Au moment précis où il allait conclure que la demeure était<br />

vide, une lumière rouge apparut, venue de ses profondeurs.<br />

Bientôt, il entendit <strong>le</strong>s accents nostalgiques d’un shakuhachi, la<br />

flûte de bambou dont jouaient <strong>le</strong>s prêtres lorsqu’ils mendiaient<br />

dans <strong>le</strong>s rues. En regardant à l’intérieur, il constata que <strong>le</strong><br />

joueur était en eff<strong>et</strong> un membre de c<strong>et</strong>te classe. Il se trouvait<br />

assis près du foyer. Le feu qu’il venait d’allumer s’aviva, <strong>et</strong><br />

l’ombre du prêtre s’agrandit au mur. Il jouait un air triste, une<br />

lamentation sur la solitude <strong>et</strong> la mélancolie de l’automne,<br />

destinée à ses seu<strong>le</strong>s oreil<strong>le</strong>s. Il jouait simp<strong>le</strong>ment, sans<br />

fioritures, <strong>et</strong> donnait à Matahachi l’impression de ne guère tirer<br />

vanité de son jeu.<br />

Quand la mélodie s’acheva, <strong>le</strong> prêtre poussa un profond<br />

soupir <strong>et</strong> se mit à se lamenter :<br />

— On dit que lorsqu’un homme atteint la quarantaine, il<br />

n’est plus victime de l’illusion. Mais regardez-moi ! Quarantesept<br />

ans lorsque j’ai détruit la réputation de ma famil<strong>le</strong>.<br />

Quarante-sept ! Et j’étais encore dans l’illusion ; trouvé moyen<br />

de tout perdre : ressources, poste, réputation. Ce n’est pas tout ;<br />

j’ai laissé mon fils unique se débrouil<strong>le</strong>r seul dans ce monde de<br />

malheur... Pourquoi ? Par amour ?... C’est mortifiant... jamais je<br />

ne pourrais de nouveau regarder en face mon épouse morte, ni<br />

l’enfant, ou qu’il soit. Ah ! Ceux qui racontent que l’on est sage<br />

après quarante ans doivent par<strong>le</strong>r des grands hommes, <strong>et</strong> non<br />

des sots de mon espèce. Au lieu de me croire sage à cause de<br />

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