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La pierre et le sabre - Eiji Yoshikawa

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Ses auditeurs trouvèrent sa proposition d’une cruauté si<br />

inhumaine que d’abord, nul ne sut que répondre. A l’exception<br />

d’Osugi, qui déclara :<br />

— Takuan, ton idée prouve ta sagesse, mais j’estime que<br />

nous devrions l’attacher durant une semaine... non, davantage !<br />

Qu’il reste là durant dix ou vingt jours. Après quoi, je viendrai<br />

moi-même lui porter <strong>le</strong> coup mortel.<br />

Sans autre forme de procès, Takuan approuva de la tête.<br />

— Très bien. Qu’il en soit ainsi !<br />

Il empoigna la corde après l’avoir détachée de la rampe, <strong>et</strong><br />

traîna Takezō, comme un chien en laisse, jusqu’à l’arbre. Le<br />

prisonnier s’avançait humb<strong>le</strong>ment, tête basse, sans ém<strong>et</strong>tre un<br />

son. Il avait l’air si repentant que certains des membres de la<br />

fou<strong>le</strong>, ceux qui avaient <strong>le</strong> cœur <strong>le</strong> plus tendre, éprouvaient un<br />

peu de pitié pour lui. Pourtant, l’excitation d’avoir capturé la<br />

« bête sauvage » n’était guère tombée, <strong>et</strong> chacun prit part à la<br />

fête avec entrain. Ayant lié ensemb<strong>le</strong> plusieurs longueurs de<br />

corde, ils <strong>le</strong> hissèrent à une branche, à une dizaine de mètres du<br />

sol, <strong>et</strong> l’attachèrent solidement. Ainsi ligoté, il avait moins l’air<br />

d’un homme vivant que d’une grande poupée de pail<strong>le</strong>.<br />

Une fois rentrée des montagnes au temp<strong>le</strong>, Otsū commença<br />

d’éprouver une étrange <strong>et</strong> intense mélancolie chaque fois qu’el<strong>le</strong><br />

se trouvait seu<strong>le</strong> dans sa chambre. El<strong>le</strong> s’en demandait la<br />

raison : la solitude n’avait rien de nouveau pour el<strong>le</strong>. Et il y avait<br />

toujours du monde au temp<strong>le</strong>. El<strong>le</strong> avait beau jouir de tous <strong>le</strong>s<br />

conforts du foyer, el<strong>le</strong> se sentait maintenant plus seu<strong>le</strong> qu’à<br />

aucun moment durant ces trois longs jours passés sur <strong>le</strong> flanc<br />

désolé de la colline avec pour compagnon l’unique Takuan.<br />

Assise à la tab<strong>le</strong> basse, près de sa fenêtre, <strong>le</strong> menton dans <strong>le</strong>s<br />

mains, el<strong>le</strong> réfléchit sur ses sentiments une demi-journée avant<br />

de parvenir à une conclusion.<br />

El<strong>le</strong> avait l’impression que c<strong>et</strong>te expérience lui avait ouvert<br />

<strong>le</strong>s yeux sur son propre cœur. <strong>La</strong> solitude, songeait-el<strong>le</strong>, est<br />

pareil<strong>le</strong> à la faim ; el<strong>le</strong> ne se trouve pas à l’extérieur, mais à<br />

l’intérieur de soi. En souffrir, se disait-el<strong>le</strong>, c’est éprouver qu’il<br />

vous manque quelque chose, quelque chose de vita<strong>le</strong>ment<br />

nécessaire, mais quoi ? El<strong>le</strong> ne <strong>le</strong> savait pas.<br />

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