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La pierre et le sabre - Eiji Yoshikawa

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<strong>La</strong> pivoine était la reine des f<strong>le</strong>urs, assurait la jeune femme.<br />

Peut-être n’était-il que naturel que ses branches flétries eussent<br />

une qualité que l’on ne trouvait pas au bois ordinaire, tout<br />

comme certains hommes avaient une va<strong>le</strong>ur que <strong>le</strong>s autres ne<br />

possédaient pas.<br />

— ... Combien existe-t-il d’hommes dont <strong>le</strong> mérite subsiste<br />

une fois que <strong>le</strong>s f<strong>le</strong>urs se sont fanées ? rêvait-el<strong>le</strong>.<br />

Avec un sourire mélancolique, el<strong>le</strong> répondait à sa propre<br />

question :<br />

— ... Nous autres humains ne f<strong>le</strong>urissons que dans notre<br />

jeunesse, puis nous devenons avant même de mourir des<br />

squel<strong>et</strong>tes desséchés, sans parfum.<br />

Un peu plus tard, Yoshino dit :<br />

— ... Je regr<strong>et</strong>te de n’avoir rien de plus à vous offrir que <strong>le</strong><br />

saké <strong>et</strong> <strong>le</strong> feu, mais du moins y a-t-il du bois, assez pour durer<br />

jusqu’au <strong>le</strong>ver du so<strong>le</strong>il.<br />

— Ne vous excusez pas. C’est un festin de roi.<br />

Shōyū, bien qu’habitué au luxe, était sincère dans son éloge.<br />

— Je vais vous faire une demande, dit Yoshino. Vou<strong>le</strong>z-vous,<br />

je vous prie, écrire quelque chose en souvenir de c<strong>et</strong>te soirée ?<br />

Tandis qu’el<strong>le</strong> préparait l’encre, <strong>le</strong>s fill<strong>et</strong>tes déployaient<br />

dans la pièce voisine un tapis de laine, <strong>et</strong> disposaient plusieurs<br />

feuil<strong>le</strong>s de papier à écrire chinois. Fait de bambou <strong>et</strong> de mûrier,<br />

il était robuste <strong>et</strong> absorbant, parfait pour <strong>le</strong>s inscriptions<br />

calligraphiques.<br />

Mitsuhiro, jouant <strong>le</strong> rô<strong>le</strong> de l’hôte, se tourna vers Takuan <strong>et</strong><br />

dit :<br />

— Bon prêtre, puisque c<strong>et</strong>te dame <strong>le</strong> requiert, vou<strong>le</strong>z-vous<br />

écrire quelque chose d’approprié ? Ou peut-être devrions-nous<br />

d’abord <strong>le</strong> demander à Kō<strong>et</strong>su ?<br />

Kō<strong>et</strong>su se déplaça en si<strong>le</strong>nce, à genoux. Il prit <strong>le</strong> pinceau,<br />

réfléchit un moment, <strong>et</strong> dessina une f<strong>le</strong>ur de pivoine. Au-dessus<br />

d’el<strong>le</strong>, Takuan écrivit :<br />

A quoi bon m’accrocher à<br />

Une vie si éloignée de<br />

<strong>La</strong> beauté <strong>et</strong> de la passion ?<br />

Les pivoines, bien que jolies,<br />

Perdent <strong>le</strong>urs brillants péta<strong>le</strong>s <strong>et</strong> meurent.<br />

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