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La pierre et le sabre - Eiji Yoshikawa

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mais Yasoma fit observer qu’al<strong>le</strong>r dans un tel endroit serait j<strong>et</strong>er<br />

l’argent par <strong>le</strong>s fenêtres. Il proposa un endroit moins cher <strong>et</strong><br />

plus intéressant, <strong>et</strong>, tout en chantant <strong>le</strong>s louanges du quartier<br />

réservé, mena Matahachi à ce que l’on appelait par euphémisme<br />

la Vil<strong>le</strong> des prêtresses. Là, disait-on sans beaucoup exagérer, il y<br />

avait mil<strong>le</strong> maisons de plaisir, <strong>et</strong> <strong>le</strong> commerce était si florissant<br />

que cent barils d’hui<strong>le</strong> d’éclairage se consommaient en une seu<strong>le</strong><br />

nuit. D’abord peu enthousiaste, Matahachi ne tarda pas à se<br />

sentir attiré par la gai<strong>et</strong>é ambiante.<br />

A proximité se trouvait un prolongement du fossé du<br />

château, où l’eau de la marée affluait de la baie. En regardant<br />

très attentivement, l’on pouvait distinguer des crabes qui<br />

rampaient sous <strong>le</strong>s fenêtres en saillie <strong>et</strong> <strong>le</strong>s lanternes rouges.<br />

Matahachi regarda attentivement, ce qui <strong>le</strong> troubla quelque peu<br />

car ils lui faisaient penser à des scorpions venimeux.<br />

Le quartier était peuplé, dans une large mesure, de femmes<br />

au visage recouvert d’une épaisse couche de poudre. Parmi el<strong>le</strong>s,<br />

on voyait de temps à autre un joli minois, mais beaucoup<br />

d’autres semblaient avoir dépassé la quarantaine ; ces femmes<br />

arpentaient <strong>le</strong>s rues avec un regard triste, la tête emmitouflée<br />

contre <strong>le</strong> froid, <strong>le</strong>s dents noircies, mais tâchant faib<strong>le</strong>ment de<br />

séduire <strong>le</strong>s hommes réunis là.<br />

— C’est sûr, il y en a, dit Matahachi en soupirant.<br />

— Je vous l’avais bien dit, répondit Yasoma qui s’efforçait de<br />

réhabiliter <strong>le</strong>s femmes. Et el<strong>le</strong>s va<strong>le</strong>nt mieux que n’importe<br />

quel<strong>le</strong> serveuse de maison de thé ou chanteuse dont vous<br />

pourriez vous enticher. <strong>La</strong> notion d’amour vénal rebute<br />

beaucoup de gens ; mais si vous passez une soirée d’hiver avec<br />

l’une d’el<strong>le</strong>s <strong>et</strong> causez avec el<strong>le</strong> de sa famil<strong>le</strong> <strong>et</strong> ainsi de suite,<br />

vous constaterez sans doute qu’el<strong>le</strong> ressemb<strong>le</strong> tout à fait à<br />

n’importe quel<strong>le</strong> autre femme. Et qu’el<strong>le</strong> n’est pas vraiment à<br />

blâmer d’être devenue une prostituée... Quelques-unes étaient<br />

autrefois concubines du Shōgun, <strong>et</strong> <strong>le</strong> père de beaucoup faisait<br />

partie de la suite de daimyōs qui ont depuis perdu <strong>le</strong> pouvoir. Il<br />

en allait de même, voilà plusieurs sièc<strong>le</strong>s, quand <strong>le</strong>s Tairas<br />

s’attaquaient aux Minamotos. Vous vous apercevrez, mon ami,<br />

que dans <strong>le</strong>s égouts de ce monde instab<strong>le</strong> une bonne partie des<br />

ordures est formée de f<strong>le</strong>urs déchues.<br />

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