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La pierre et le sabre - Eiji Yoshikawa

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maintenant différait beaucoup de la jeune fil<strong>le</strong> assise d’un air<br />

découragé devant <strong>le</strong> Shippōji, <strong>et</strong> qui considérait <strong>le</strong> monde d’un<br />

regard absent. <strong>La</strong> différence était qu’alors, Otsū n’avait eu<br />

personne à aimer. Ou du moins, el<strong>le</strong> avait éprouvé un amour<br />

vague, diffici<strong>le</strong> à localiser. El<strong>le</strong> avait été une enfant<br />

sentimenta<strong>le</strong>, honteuse d’être orpheline <strong>et</strong> qui en concevait une<br />

certaine rancune.<br />

Le fait de connaître Musashi, de l’admirer, avait donné<br />

naissance à l’amour qui maintenant habitait la jeune fil<strong>le</strong> <strong>et</strong><br />

apportait à sa vie une signification. Durant la longue année<br />

qu’el<strong>le</strong> avait passée à errer à la recherche du jeune homme, <strong>le</strong><br />

corps <strong>et</strong> l’âme d’Otsū avaient développé <strong>le</strong> courage d’affronter<br />

tout ce que <strong>le</strong> destin risquait de lui j<strong>et</strong>er au visage.<br />

Prompt à percevoir la vitalité nouvel<strong>le</strong> d’Otsū <strong>et</strong> la beauté<br />

qu’el<strong>le</strong> lui conférait, Musashi brûlait de l’emmener quelque part<br />

où ils pourraient être seuls, <strong>et</strong> de tout lui avouer : combien el<strong>le</strong><br />

lui manquait, combien il avait besoin d’el<strong>le</strong> physiquement. Il<br />

voulait lui révé<strong>le</strong>r qu’une faib<strong>le</strong>sse se cachait dans son cœur<br />

d’acier ; il voulait rétracter <strong>le</strong>s mots qu’il avait gravés sur <strong>le</strong> pont<br />

de Hanada. A l’insu de tous, il pourrait lui manifester sa<br />

tendresse. Il lui dirait qu’il éprouvait pour el<strong>le</strong> <strong>le</strong> même amour<br />

qu’el<strong>le</strong> éprouvait pour lui. Il pourrait l’embrasser, frotter sa joue<br />

contre <strong>le</strong>s siennes, verser <strong>le</strong>s larmes qu’il avait envie de verser. Il<br />

était assez fort, maintenant, pour adm<strong>et</strong>tre la réalité de pareils<br />

sentiments.<br />

Certaines choses qu’Otsū lui avait dites autrefois lui<br />

revenaient, <strong>et</strong> il voyait combien il avait été laid <strong>et</strong> cruel de sa<br />

part de rej<strong>et</strong>er l’amour simp<strong>le</strong> <strong>et</strong> droit qu’el<strong>le</strong> lui avait offert.<br />

Il avait beau se sentir très malheureux, quelque chose en lui<br />

ne pouvait se rendre à ces sentiments, quelque chose lui disait<br />

que c’était mal. Il était deux hommes différents : l’un brûlait<br />

d’appe<strong>le</strong>r Otsū, l’autre <strong>le</strong> traitait de fou. Lequel était-il en<br />

réalité ? Il ne <strong>le</strong> savait au juste. Epiant de derrière son arbre,<br />

perdu dans l’indécision, il croyait voir deux chemins devant lui,<br />

l’un de lumière <strong>et</strong> l’autre de ténèbres.<br />

Otsū, inconsciente de sa présence, fit quelques pas à<br />

l’extérieur du portail. Se r<strong>et</strong>ournant, el<strong>le</strong> vit Jōtarō se baisser<br />

pour ramasser quelque chose.<br />

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