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La pierre et le sabre - Eiji Yoshikawa

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Musashi revit soudain la pivoine blanche du jardin de<br />

Sekishūsai, <strong>et</strong> sentit de nouveau l’exaltation qu’el<strong>le</strong> lui avait<br />

donnée. Maintenant, de manière inexplicab<strong>le</strong>, <strong>le</strong> bol à thé <strong>le</strong><br />

frappait avec la même force. Il se demanda un instant s’il avait<br />

poussé un cri.<br />

Il tendit la main, ramassa <strong>le</strong> bol avec amour <strong>et</strong> <strong>le</strong> posa sur<br />

ses genoux. Les yeux brillants, il l’examina ; il éprouvait une<br />

excitation qu’il n’avait jamais connue. Tandis qu’il étudiait <strong>le</strong><br />

fond de l’ustensi<strong>le</strong> <strong>et</strong> <strong>le</strong>s traces de la spatu<strong>le</strong> du potier, il se<br />

rendait compte que <strong>le</strong>s lignes avaient la même acuité que la tige<br />

de pivoine tranchée par Sekishūsai. Ce bol sans prétention, lui<br />

aussi, était l’œuvre d’un génie. Il révélait <strong>le</strong> contact de l’esprit, la<br />

mystérieuse intuition.<br />

Musashi pouvait à peine respirer. Il ignorait pourquoi, mais<br />

il sentait la force du maître artisan. El<strong>le</strong> venait à lui<br />

si<strong>le</strong>ncieusement mais indubitab<strong>le</strong>ment car il était beaucoup plus<br />

sensib<strong>le</strong> que ne l’auraient été la plupart des gens à la force<br />

cachée qui résidait là. Il caressa <strong>le</strong> bol : il ne voulait point perdre<br />

avec lui <strong>le</strong> contact physique.<br />

— ... Kō<strong>et</strong>su, dit-il, je n’en sais pas plus sur <strong>le</strong>s ustensi<strong>le</strong>s<br />

que sur <strong>le</strong> thé, mais je parierais que ce bol a été fait par un<br />

potier très habi<strong>le</strong>.<br />

— Pourquoi dites-vous cela ?<br />

Les paro<strong>le</strong>s de l’artiste étaient aussi douces que son visage,<br />

avec son regard p<strong>le</strong>in de sympathie <strong>et</strong> sa bouche bien dessinée.<br />

Les coins de ses yeux tombaient un peu, ce qui lui donnait un<br />

air de gravité ; mais de fines rides <strong>le</strong>s entouraient.<br />

— Je ne sais comment l’expliquer, mais je <strong>le</strong> sens.<br />

— Que sentez-vous au juste ? Dites-<strong>le</strong>-moi.<br />

Musashi réfléchit quelques instants, <strong>et</strong> répondit :<br />

— Eh bien, je suis incapab<strong>le</strong> de l’exprimer très clairement,<br />

mais il y a quelque chose de plus qu’humain dans la n<strong>et</strong>t<strong>et</strong>é de<br />

c<strong>et</strong>te entail<strong>le</strong> de l’argi<strong>le</strong>...<br />

— Hum...<br />

Kō<strong>et</strong>su avait l’attitude du véritab<strong>le</strong> artiste. Il n’imaginait pas<br />

un instant qu’autrui connaissait grand-chose à son art propre, <strong>et</strong><br />

croyait assez que Musashi ne faisait pas exception. Il serra <strong>le</strong>s<br />

lèvres.<br />

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