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La pierre et le sabre - Eiji Yoshikawa

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Tandis qu’il foulait <strong>le</strong> sol meub<strong>le</strong> entre des rangs de colza,<br />

de radis <strong>et</strong> de cibou<strong>le</strong>, il remarqua d’un côté un vieil homme en<br />

train de sarc<strong>le</strong>r. Courbé sur sa houe, il en considérait <strong>le</strong> fer avec<br />

intensité. Musashi ne voyait de sa face qu’une paire de sourcils<br />

neigeux, <strong>et</strong> si l’on exceptait <strong>le</strong> heurt de la houe contre <strong>le</strong>s<br />

cailloux, <strong>le</strong> si<strong>le</strong>nce était compl<strong>et</strong>.<br />

Musashi se dit que <strong>le</strong> vieillard devait être un moine de<br />

l’Ozōin. Il ouvrit la bouche pour lui par<strong>le</strong>r, mais l’homme était si<br />

absorbé dans son travail qu’il paraissait grossier de <strong>le</strong> déranger.<br />

Pourtant, comme il <strong>le</strong> dépassait en si<strong>le</strong>nce, il s’aperçut<br />

soudain que <strong>le</strong> vieux fixait du coin de l’œil <strong>le</strong>s pieds de Musashi.<br />

Bien que l’autre ne bougeât ni ne parlât, Musashi se sentait<br />

attaqué par une force terrifiante – une force pareil<strong>le</strong> à l’éclair<br />

qui déchire <strong>le</strong>s nuées. Il ne s’agissait pas là d’un songe éveillé. Il<br />

sentait véritab<strong>le</strong>ment la force mystérieuse lui percer <strong>le</strong> corps ;<br />

épouvanté, il sauta en l’air. Il brûlait de la tête aux pieds comme<br />

s’il venait d’éviter de justesse <strong>le</strong> coup mortel d’un <strong>sabre</strong> ou d’une<br />

lance.<br />

Regardant par-dessus son épau<strong>le</strong>, il constata que <strong>le</strong> bossu se<br />

trouvait toujours tourné vers lui ; la houe continuait son va-<strong>et</strong>vient<br />

ininterrompu. Que signifiait donc toute c<strong>et</strong>te histoire ? se<br />

demanda-t-il, ébahi par la force qui l’avait frappé.<br />

Il se r<strong>et</strong>rouva devant <strong>le</strong> Hōzōin, sa curiosité intacte. En<br />

attendant qu’un serviteur se présentât, il songeait : « Inshun<br />

devrait être encore un jeune homme. Le moine disait qu’In’ei<br />

était séni<strong>le</strong> <strong>et</strong> qu’il ne se rappelait plus rien de la lance, mais je<br />

me demande... » L’incident du jardin restait gravé à l’arrièreplan<br />

de sa pensée.<br />

Il appela encore à deux reprises, fortement, mais seul lui<br />

répondit l’écho des arbres environnants. Il remarqua un vaste<br />

gong, à côté de l’entrée, <strong>et</strong> <strong>le</strong> frappa. Presque aussitôt, on lui<br />

répondit des profondeurs du temp<strong>le</strong>.<br />

Un prêtre vint à la porte. Il était fort <strong>et</strong> musclé ; eût-il été<br />

l’un des prêtres-guerriers du mont Hiei, il aurait bien pu<br />

commander un bataillon. Habitué à recevoir jour après jour des<br />

gens tels que Musashi, il lui j<strong>et</strong>a un bref coup d’œil <strong>et</strong> dit :<br />

— Vous êtes un shugyōsha ?<br />

— Oui.<br />

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