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La pierre et le sabre - Eiji Yoshikawa

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el<strong>le</strong> avait d’abord pris <strong>le</strong> feu pour celui d’un mendiant. Sans<br />

raison particulière, el<strong>le</strong> s’était arrêtée pour attendre sur la digue.<br />

En apercevant l’homme nu <strong>et</strong> musclé qui sortait de la rivière,<br />

insensib<strong>le</strong> au froid, el<strong>le</strong> avait compris que c’était Musashi.<br />

Comme il se trouvait sans vêtements, c’eût été <strong>le</strong> moment<br />

idéal pour <strong>le</strong> prendre par surprise <strong>et</strong> l’abattre ; pourtant, même<br />

<strong>le</strong> vieux cœur desséché d’Osugi s’y refusa.<br />

El<strong>le</strong> joignit <strong>le</strong>s mains pour prononcer une action de grâces,<br />

tout comme si el<strong>le</strong> avait déjà eu la tête de Musashi. « Que je suis<br />

heureuse ! Grâce aux dieux <strong>et</strong> aux bodhisattvas, j’ai Musashi en<br />

face de moi. Il ne peut s’agir d’un pur hasard ! <strong>La</strong> constance de<br />

ma foi a trouvé sa récompense ; mon ennemi a été remis entre<br />

mes mains ! » El<strong>le</strong> se prosterna devant <strong>le</strong> ciel, ferme dans sa<br />

croyance que maintenant el<strong>le</strong> avait tout <strong>le</strong> temps pour accomplir<br />

sa mission.<br />

Musashi revêtit son kimono, attacha bien serré son obi, <strong>et</strong><br />

ceignit ses deux <strong>sabre</strong>s. Sur <strong>le</strong>s mains <strong>et</strong> <strong>le</strong>s genoux, il se<br />

prosterna si<strong>le</strong>ncieusement devant <strong>le</strong>s dieux du ciel <strong>et</strong> de la terre.<br />

Le cœur d’Osugi bondit dans sa poitrine, tandis qu’el<strong>le</strong><br />

murmurait : « Allons ! »<br />

A c<strong>et</strong> instant précis, Musashi se re<strong>le</strong>va d’un bond. Sautant<br />

avec agilité par-dessus une mare d’eau, il se mit à longer<br />

rapidement la rivière. Osugi, prenant bien garde de ne pas<br />

trahir sa présence, se hâta <strong>le</strong> long de la digue.<br />

Les toits <strong>et</strong> <strong>le</strong>s ponts de la grand-vil<strong>le</strong> commençaient à<br />

montrer <strong>le</strong>urs légers contours blancs dans la brume du matin,<br />

mais au-dessus, <strong>le</strong>s étoi<strong>le</strong>s brillaient encore au ciel, <strong>et</strong> <strong>le</strong> pied de<br />

l’Higashiyama restait d’un noir d’encre. Lorsque Musashi<br />

parvint au pont de bois de l’avenue Sanjō, il passa dessous <strong>et</strong><br />

reparut en haut de la digue qui s’étendait au-delà, s’avançant à<br />

longues foulées. Plusieurs fois, Osugi faillit l’appe<strong>le</strong>r, mais s’en<br />

abstint.<br />

Musashi savait qu’el<strong>le</strong> se trouvait derrière lui. Mais il savait<br />

aussi que s’il se r<strong>et</strong>ournait, el<strong>le</strong> foncerait sur lui <strong>et</strong> qu’il serait<br />

forcé de se défendre, sans lui faire de mal. « Un terrib<strong>le</strong><br />

adversaire ! » se disait-il. S’il avait encore été Takezō, là-bas, au<br />

village, il n’eût pas craint de la terrasser <strong>et</strong> de la frapper jusqu’à<br />

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