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La pierre et le sabre - Eiji Yoshikawa

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aux cinq passions, doit-il être affecté par <strong>le</strong> son de la flûte aux<br />

mains de c<strong>et</strong>te bel<strong>le</strong> jeune fil<strong>le</strong> ! » Il avait envie de p<strong>le</strong>urer mais<br />

ses yeux demeurèrent secs. Il enfonça davantage son visage<br />

entre ses genoux qu’inconsciemment il serrait plus fort dans ses<br />

bras.<br />

Tandis que la lueur du feu pâlissait peu à peu, <strong>le</strong>s joues<br />

d’Otsū devenaient plus vermeil<strong>le</strong>s. Sa musique l’absorbait tant<br />

que l’on avait peine à la distinguer de l’instrument dont el<strong>le</strong><br />

jouait.<br />

Appelait-el<strong>le</strong> sa mère <strong>et</strong> son père ? Ces sons qui montaient<br />

vers <strong>le</strong> ciel demandaient-ils vraiment : « Où êtes-vous ? » Et ne<br />

se mêlait-il pas à c<strong>et</strong>te prière l’amer ressentiment d’une jeune<br />

fil<strong>le</strong> abandonnée <strong>et</strong> trahie par un homme sans foi ?<br />

El<strong>le</strong> avait l’air enivrée de musique, submergée par ses<br />

propres émotions. Son souff<strong>le</strong> se mit à donner des signes de<br />

fatigue ; de minuscu<strong>le</strong>s gouttes de sueur perlèrent à l’orée de sa<br />

chevelure. Des larmes ruisselèrent <strong>le</strong> long de ses joues. Des<br />

sanglots étouffés avaient beau rompre la mélodie, el<strong>le</strong> semblait<br />

se poursuivre à jamais.<br />

Et puis soudain, il se produisit un mouvement dans l’herbe.<br />

Ce n’était pas à plus de quatre à six mètres du feu, <strong>et</strong> cela<br />

faisait <strong>le</strong> bruit d’un animal qui rampe. Takuan redressa<br />

vivement la tête. Les yeux fixés sur l’obj<strong>et</strong> noir, il <strong>le</strong>va<br />

tranquil<strong>le</strong>ment la main en signe de salut.<br />

— Eh ! toi, là-bas ! Il doit faire frisqu<strong>et</strong> dans la rosée. Viens<br />

donc ici te réchauffer près du feu. Viens bavarder avec nous, je<br />

t’en prie.<br />

Otsū, saisie, cessa de jouer en disant :<br />

— Takuan, est-ce que tu par<strong>le</strong>s encore tout seul ?<br />

— Tu n’as pas remarqué ? demanda-t-il, l’index tendu.<br />

Takezō est là-bas depuis quelque temps, à t’écouter jouer de la<br />

flûte.<br />

El<strong>le</strong> se tourna pour regarder puis, poussant un cri aigu,<br />

lança sa flûte à la forme noire. C’était bien Takezō. Il bondit<br />

comme un cerf effrayé, <strong>et</strong> prit la fuite.<br />

Takuan, aussi étonné que Takezō par <strong>le</strong> cri d’Otsū, eut<br />

l’impression que <strong>le</strong> fil<strong>et</strong> qu’il tirait avec tant de soin s’était<br />

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